Redemptor Hominis

Nouvelle évangélisation, option préférentielle pour les pauvres et doctrine sociale : "Caritas in Veritate" de Benoît XVI

LETTRE  ENCYCLIQUE CARITAS  IN  VERITATE   DU  SOUVERAIN  PONTIFE BENOÎT  XVI AUX  ÉVÊQUES   AUX  PRÊTRES  ET  AUX  DIACRES   AUX  PERSONNES CONSACRÉES   AUX FIDÈLES LAÏCS   ET À TOUS LES HOMMES   DE BONNE VOLONTÉ   SUR LE DÉVELOPPEMENT   HUMAIN INTÉGRAL   DANS LA CHARITÉ ET DANS LA VÉRITÉ

 

 

INTRODUCTION

1.     L’amour dans la vérité (Caritas in veritate), dont Jésus s’est  fait le témoin dans sa vie terrestre et surtout par sa mort et sa résurrection,  est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et  de l’humanité tout entière. L’amour – « caritas » – est une force  extraordinaire qui pousse les personnes à s’engager avec courage et générosité  dans le domaine de la justice et de la paix. C’est une force qui a son origine  en Dieu, Amour éternel et Vérité absolue. Chacun trouve son bien en adhérant,  pour le réaliser pleinement, au projet que Dieu a sur lui: en effet, il trouve  dans ce projet sa propre vérité et c’est en adhérant à cette vérité qu’il  devient libre (cf. Jn 8, 32). Défendre la vérité, la proposer avec humilité et  conviction et en témoigner dans la vie sont par conséquent des formes exigeantes  et irremplaçables de la charité. En effet, celle-ci « trouve sa joie dans ce qui  est vrai » (1 Co 13, 6). Toute personne expérimente en elle un élan pour aimer  de manière authentique: l’amour et la vérité ne l’abandonnent jamais totalement,  parce qu’il s’agit là de la vocation déposée par Dieu dans le cœur et dans  l’esprit de chaque homme. Jésus Christ purifie et libère de nos pauvretés  humaines la recherche de l’amour et de la vérité et il nous révèle en plénitude  l’initiative d’amour ainsi que le projet de la vie vraie que Dieu a préparée  pour nous. Dans le Christ, l’amour dans la vérité devient le Visage de sa  Personne. C’est notre vocation d’aimer nos frères dans la vérité de son dessein.  Lui-même, en effet, est la Vérité (cf. Jn 14, 6).

2. La charité est la voie maîtresse de la doctrine sociale de l’Église. Toute  responsabilité et tout engagement définis par cette doctrine sont imprégnés de  l’amour qui, selon l’enseignement du Christ, est la synthèse de toute la Loi (cf. Mt 22, 36-40). L’amour  donne une substance authentique à la relation personnelle avec Dieu et avec le  prochain. Il est le principe non seulement des micro-relations: rapports amicaux,  familiaux, en petits groupes, mais également des macro-relations: rapports  sociaux, économiques, politiques. Pour l’Église – instruite par l’Évangile –,  l’amour est tout parce que, comme l’enseigne saint Jean (cf. 1 Jn 4, 8.16) et  comme je l’ai rappelé dans ma première Lettre encyclique, « Dieu est amour » (Deus caritas est): tout provient de l’amour de Dieu, par lui tout prend forme  et tout tend vers lui. L’amour est le don le plus grand que Dieu ait fait  aux hommes, il est sa promesse et notre espérance.

Je suis conscient des dévoiements et des pertes de sens qui ont marqué et qui  marquent encore la charité, avec le risque conséquent de la comprendre de  manière erronée, de l’exclure de la vie morale et, dans tous les cas, d’en  empêcher la juste mise en valeur. Dans les domaines social, juridique, culturel,  politique, économique, c’est-à-dire dans les contextes les plus exposés à ce  danger, il n’est pas rare qu’elle soit déclarée incapable d’interpréter et d’orienter  les responsabilités morales. De là, découle la nécessité de conjuguer l’amour  avec la vérité non seulement selon la direction indiquée par saint Paul: celle  de la « veritas in caritate » (Ep 4, 15), mais aussi, dans celle inverse et  complémentaire, de la « caritas in veritate ». La vérité doit être cherchée,  découverte et exprimée dans l’ « économie » de l’amour, mais l’amour à son tour  doit être compris, vérifié et pratiqué à la lumière de la vérité. Nous aurons  ainsi non seulement rendu service à l’amour, illuminé par la vérité, mais nous  aurons aussi contribué à rendre crédible la vérité en en montrant le pouvoir d’authentification  et de persuasion dans le concret de la vie sociale. Ce qui, aujourd’hui, n’est  pas rien compte tenu du contexte social et culturel présent qui relativise la  vérité, s’en désintéresse souvent ou s’y montre réticent.

3.     Par son lien étroit avec la vérité, l’amour peut être reconnu  comme une expression authentique d’humanité et comme un élément d’importance  fondamentale dans les relations humaines, même de nature publique. Ce n’est que  dans la vérité que l’amour resplendit et qu’il peut être vécu avec authenticité.  La vérité est une lumière qui donne sens et valeur à l’amour. Cette lumière est,  en même temps, celle de la raison et de la foi, par laquelle l’intelligence  parvient à la vérité naturelle et surnaturelle de l’amour: l’intelligence en  reçoit le sens de don, d’accueil et de communion. Dépourvu de vérité, l’amour  bascule dans le sentimentalisme. L’amour devient une coque vide susceptible d’être  arbitrairement remplie. C’est le risque mortifère qu’affronte l’amour dans une  culture sans vérité. Il est la proie des émotions et de l’opinion contingente  des êtres humains ; il devient un terme galvaudé et déformé, jusqu’à signifier  son contraire. La vérité libère l’amour des étroitesses de l’émotivité qui le  prive de contenus relationnels et sociaux, et d’un fidéisme qui le prive d’un  souffle humain et universel. Dans la vérité, l’amour reflète en même temps la  dimension personnelle et publique de la foi au Dieu biblique qui est à la fois  « Agapè » et « Lógos »: Charité et Vérité, Amour et Parole.

4.     Parce que l’amour est riche de vérité, l’homme peut le comprendre  dans la richesse de ses valeurs, le partager et le communiquer. La vérité est, en  effet, lógos qui crée un diá-logos et donc une communication et une communion.  En aidant les hommes à aller au-delà de leurs opinions et de leurs sensations  subjectives, la vérité leur permet de dépasser les déterminismes culturels et  historiques et de se rencontrer dans la reconnaissance de la substance et de la  valeur des choses. La vérité ouvre et unit les intelligences dans le lógos de  l’amour: l’annonce et le témoignage chrétien de l’amour résident en cela. Dans  le contexte socioculturel actuel, où la tendance à relativiser le vrai est  courante, vivre la charité dans la vérité conduit à comprendre que l’adhésion  aux valeurs du Christianisme est un élément non seulement utile, mais  indispensable pour l’édification d’une société bonne et d’un véritable  développement humain intégral. Un Christianisme de charité sans vérité peut  facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments, utiles pour la  coexistence sociale, mais n’ayant qu’une incidence marginale. Dans  ce cas,  Dieu n’aurait plus une place propre et authentique dans le monde. Sans la vérité,  la charité est reléguée dans un espace restreint et relationnellement appauvri.  Dans le dialogue entre les connaissances et leur mise en œuvre, elle est exclue  des projets et des processus de construction d’un développement humain d’envergure  universelle.

5.     La charité est amour reçu et donné. Elle est « grâce » (cháris).  Sa source est l’amour jaillissant du Père pour le Fils, dans l’Esprit Saint.  C’est un amour qui, du Fils, descend sur nous. C’est un amour créateur, qui nous  a donné l’existence; c’est un amour rédempteur, qui nous a recréés. Un amour  révélé et réalisé par le Christ (cf. Jn 13, 1) et « répandu dans nos cœurs par  l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Objets de l’amour de Dieu, les  hommes sont constitués sujets de la charité, appelés à devenir eux-mêmes les  instruments de la grâce, pour répandre la charité de Dieu et pour tisser des  liens de charité.

La doctrine sociale de l’Église répond à cette dynamique de charité reçue et  donnée. Elle est « caritas in veritate in re sociali »: annonce de la vérité de l’amour du Christ  dans la société. Cette doctrine est un service de la charité, mais dans la  vérité. La vérité préserve et exprime la force de libération de la charité dans  les événements toujours nouveaux de l’histoire. Elle est, en même temps, une  vérité de la foi et de la raison, dans la distinction comme dans la synergie de  ces deux modes de connaissance. Le développement, le bien-être social, ainsi qu’une  solution adaptée aux graves problèmes socio-économiques qui affligent l’humanité,  ont besoin de cette vérité. Plus encore, il est nécessaire que cette vérité soit  aimée et qu’il lui soit rendu témoignage. Sans vérité, sans confiance et sans  amour du vrai, il n’y a pas de conscience ni de responsabilité sociale, et  l’agir social devient la proie d’intérêts privés et de logiques de pouvoir, qui  ont pour effets d’entrainer la désagrégation de la société, et cela d’autant  plus dans une société en voie de mondialisation et dans les moments difficiles  comme ceux que nous connaissons actuellement.

6.     « Caritas in veritate » est un principe sur lequel se fonde la  doctrine sociale de l’Église, un principe qui prend une forme opératoire par des  critères d’orientation de l’action morale. Je désire en rappeler deux de manière  particulière; ils sont dictés principalement par l’engagement en faveur du  développement dans une société en voie de mondialisation: la justice et le bien  commun.

La justice tout d’abord. Ubi societas, ibi ius : toute société élabore un  système propre de justice. La charité dépasse la justice, parce que aimer c’est donner, offrir du mien à l’autre ; mais elle n’existe jamais sans la justice qui  amène à donner à l’autre ce qui est sien, c’est-à-dire ce qui lui  revient en raison de son être et de son agir. Je ne peux pas « donner » à  l’autre du mien, sans lui avoir donné tout d’abord ce qui lui revient selon la  justice. Qui aime les autres avec charité est d’abord juste envers eux. Non  seulement la justice n’est pas étrangère à la charité, non seulement elle n’est  pas une voie alternative ou parallèle à la charité: la justice est « inséparable  de la charité »  [1],  elle lui est intrinsèque. La justice est la première voie de la charité ou,  comme le disait Paul VI, son « minimum » [2],  une partie intégrante de cet amour en « actes et en vérité » (1 Jn 3, 18)  auquel l’apôtre saint Jean exhorte. D’une part, la charité exige la justice: la  reconnaissance et le respect des droits légitimes des individus et des peuples.  Elle s’efforce de construire la cité de l’homme selon le  droit et la justice. D’autre part, la charité dépasse la justice et la complète  dans la logique du don et du pardon [3].  La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de  droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de  gratuité, de miséricorde et de communion. La charité manifeste toujours l’amour  de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne une valeur théologale  et salvifique à tout engagement pour la justice dans le monde.

7.     Il faut ensuite prendre en grande considération le bien commun.  Aimer quelqu’un, c’est vouloir son bien et mettre tout en œuvre pour cela. À  côté du bien individuel, il y a un bien lié à la vie en société: le bien commun.  C’est le bien du ‘nous-tous’, constitué d’individus, de familles et de groupes  intermédiaires qui forment une communauté sociale [4].  Ce n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font  partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver  réellement et plus efficacement à leur bien. C’est une exigence de la justice  et de la charité que de vouloir le bien commun et de le rechercher. Œuvrer  en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se  servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement,  et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la pólis, de  la cité. On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille  davantage en faveur du bien commun qui répond également à ses besoins réels.  Tout chrétien est appelé à vivre cette charité, selon sa vocation et selon ses  possibilités d’influence au service de la pólis. C’est là la voie  institutionnelle – politique peut-on dire aussi – de la charité, qui n’est pas  moins qualifiée et déterminante que la charité qui est directement en rapport  avec le prochain, hors des médiations institutionnelles de la cité. L’engagement  pour le bien commun, quand la charité l’anime, a une valeur supérieure à celle  de l’engagement purement séculier et politique. Comme tout engagement en faveur  de la justice, il s’inscrit dans le témoignage de la charité divine qui,  agissant dans le temps, prépare l’éternité. Quand elle est inspirée et animée  par la charité, l’action de l’homme contribue à l’édification de cette cité  de Dieu universelle vers laquelle avance l’histoire de la famille humaine.  Dans une société en voie de mondialisation, le bien commun et l’engagement en sa  faveur ne peuvent pas ne pas assumer les dimensions de la famille humaine tout  entière, c’est-à-dire de la communauté des peuples et des Nations [5],  au point de donner forme d’unité et de paix à la cité des hommes, et d’en  faire, en quelque sorte, la préfiguration anticipée de la cité sans frontières  de Dieu.

8.     En publiant en 1967 l’encyclique Populorum progressio, mon  vénérable prédécesseur Paul VI a éclairé le grand thème du développement des  peuples de la splendeur de la vérité et de la douce lumière de la charité du  Christ. Il a affirmé que l’annonce du Christ est le premier et le principal  facteur de développement [6] et il nous a laissé la consigne d’avancer sur la route du développement de tout  notre cœur et de toute notre intelligence [7],  c’est-à-dire avec l’ardeur de la charité et la sagesse de la vérité. C’est la  vérité originelle de l’amour de Dieu – grâce qui nous est donnée – qui ouvre  notre vie au don et qui rend possible l’espérance en un « développement (…) de  tout l’homme et de tous les hommes » [8],  en passant « de conditions moins humaines à des conditions plus humaines » [9],  et cela en triomphant des difficultés inévitablement rencontrées sur le chemin.

Plus de quarante ans après la publication de cette encyclique, je désire  honorer la mémoire de  Paul VI, et rendre hommage à ce grand Pontife, en  reprenant ses enseignements sur le développement humain intégral et en me  plaçant sur la voie qu’ils ont tracée, afin de les actualiser aujourd’hui. Ce  processus d’actualisation commença avec l’encyclique Sollicitudo rei socialis,  par laquelle le Serviteur de Dieu  Jean-Paul II voulut commémorer la publication  de Populorum progressio à l’occasion de son vingtième anniversaire.  Jusque là une telle commémoration n’avait été réservée qu’à l’encyclique Rerum novarum. Vingt ans après, j’exprime ma conviction que Populorum progressio mérite d’être considérée comme l’encyclique « Rerum novarum  de l’époque contemporaine » qui éclaire le chemin de l’humanité en voie d’unification.

9.     L’amour dans la vérité – caritas in veritate – est un grand  défi pour l’Église dans un monde sur la voie d’une mondialisation progressive et  généralisée. Le risque de notre époque réside dans le fait qu’à  l’interdépendance déjà réelle entre les hommes et les peuples, ne corresponde  pas l’interaction éthique des consciences et des intelligences dont le fruit  devrait être l’émergence d’un développement vraiment humain. Seule la charité,  éclairée par la lumière de la raison et de la foi, permettra d’atteindre des  objectifs de développement porteurs d’une valeur plus humaine et plus  humanisante. Le partage des biens et des ressources, d’où provient le vrai  développement, n’est pas assuré par le seul progrès technique et par de simples  relations de convenance, mais par la puissance de l’amour qui vainc le mal par  le bien (cf. Rm 12, 21) et qui ouvre à la réciprocité des consciences et  des libertés.

L’Église n’a pas de solutions techniques à offrir [10] et ne prétend « aucunement s’immiscer dans la politique des États » [11].  Elle a toutefois une mission de vérité à remplir, en tout temps et en toutes  circonstances, en faveur d’une société à la mesure de l’homme, de sa dignité et  de sa vocation. Sans vérité, on aboutit à une vision empirique et sceptique de  la vie, incapable de s’élever au-dessus de l’agir, car inattentive à saisir les  valeurs – et parfois pas même le sens des choses – qui permettraient de la juger  et de l’orienter. La fidélité à l’homme exige la fidélité à la vérité qui, seule, est la garantie de la liberté (cf. Jn 8, 32) et de  la possibilité d’un développement humain intégral. C’est pour cela que l’Église  la recherche, qu’elle l’annonce sans relâche et qu’elle la reconnaît partout où  elle se manifeste. Cette mission de vérité est pour l’Église une mission  impérative. Sa doctrine sociale est un aspect particulier de cette annonce:  c’est un service rendu à la vérité qui libère. Ouverte à la vérité, quel que  soit le savoir d’où elle provient, la doctrine sociale de l’Église est prête à  l’accueillir. Elle rassemble dans l’unité les fragments où elle se trouve  souvent disséminée et elle l’introduit dans le vécu toujours nouveau de la  société des hommes et des peuples [12].

 

 

CHAPITRE I

LE MESSAGE DE POPULORUM PROGRESSIO

10.    Plus de quarante ans après la publication de Populorum progressio, sa relecture nous invite à rester fidèles à son message de  charité et de vérité, en le replaçant dans le cadre du magistère propre de  Paul VI et, plus généralement, à l’intérieur de la tradition de la doctrine sociale  de l’Église. Par ailleurs, il faut évaluer les multiples termes dans lesquels se  pose aujourd’hui, à la différence d’alors, le problème du développement. Le  point de vue correct est donc celui de la Tradition de la foi des Apôtres [13],  patrimoine ancien et nouveau hors duquel Populorum progressio serait un  document privé de racines et les questions liées au développement se réduiraient  uniquement à des données d’ordre sociologique.

11.    Populorum progressio fut publiée immédiatement après la  conclusion du  Concile œcuménique Vatican II. Dès ses premiers paragraphes, l’encyclique  affirme son rapport intime avec le  Concile [14].  Vingt ans plus tard, dans Sollicitudo rei socialisJean-Paul II soulignait à son tour le rapport fécond de cette encyclique avec le  Concile et,  en particulier, avec la Constitution pastorale Gaudium et Spes [15].  Je désire moi aussi rappeler ici l’importance du  Concile Vatican II pour l’encyclique  de Paul VI et, à sa suite, pour tout le magistère social des Souverains Pontifes.  Le  Concile a approfondi tout ce qui appartient depuis toujours à la vérité de la  foi, c’est-à-dire que l’Église, qui est au service de Dieu, est au service du  monde selon les critères de l’amour et de la vérité. C’est précisément de cette  vision que partait Paul VI pour nous faire part de deux grandes vérités. La  première est que toute l’Église, dans tout son être et tout son agir, tend à  promouvoir le développement intégral de l’homme quand elle annonce, célèbre et  œuvre dans la charité. Elle a un rôle public qui ne se borne pas à ses  activités d’assistance ou d’éducation, mais elle déploie toutes ses énergies au  service de la promotion de l’homme et de la fraternité universelle quand elle  peut jouir d’un régime de liberté. Dans bien des cas, cette liberté est entravée  par des interdictions et des persécutions, ou même limitée quand la présence  publique de l’Église est réduite à ses seules activités caritatives. La seconde  vérité est que le développement authentique de l’homme concerne unitairement  la totalité de la personne dans chacune de ses dimensions [16].  Sans la perspective d’une vie éternelle, le progrès humain demeure en ce monde  privé de souffle. Enfermé à l’intérieur de l’histoire, il risque de se réduire à  la seule croissance de l’avoir. L’humanité perd ainsi le courage d’être  disponible pour les biens plus élevés, pour les grandes initiatives  désintéressées qu’exige la charité universelle. L’homme ne se développe pas  seulement par ses propres forces, et le développement ne peut pas lui être  simplement offert. Tout au long de l’histoire, on a souvent pensé que la  création d’institutions suffisait à garantir à l’humanité la satisfaction du  droit au développement. Malheureusement, on a placé une confiance excessive dans  de telles institutions, comme si elles pouvaient atteindre automatiquement le  but recherché. En réalité, les institutions ne suffisent pas à elles seules, car  le développement intégral de l’homme est d’abord une vocation et suppose donc  que tous prennent leurs responsabilités de manière libre et solidaire. Un tel  développement demande, en outre, une vision transcendante de la personne; il a  besoin de Dieu: sans Lui, le développement est nié ou confié aux seules mains de  l’homme, qui s’expose à la présomption de se sauver par lui-même et finit par  promouvoir un développement déshumanisé. D’autre part, seule la rencontre de  Dieu permet de ne pas “voir dans l’autre que l’autre” [17],  mais de reconnaître en lui l’image de Dieu, parvenant ainsi à découvrir vraiment  l’autre et à développer un amour qui “devienne soin de l’autre pour l’autre” [18].

12.    Le lien existant entre Populorum progressio et le  Concile  Vatican II ne représente pas une coupure entre le magistère social de  Paul VI et  celui des Papes qui l’avaient précédé, étant donné que le  Concile est un  approfondissement de ce magistère dans la continuité de la vie de l’Église [19].  En ce sens, certaines subdivisions abstraites de la doctrine sociale de l’Église  sont aujourd’hui proposées qui ne contribuent pas à clarifier les choses, car  elles appliquent à l’enseignement social pontifical des catégories qui lui sont  étrangères. Il n’y a pas deux typologies différentes de doctrine sociale, l’une  pré-conciliaire et l’autre post-conciliaire, mais un unique enseignement,  cohérent et en même temps toujours nouveau [20].  Il est juste de remarquer les caractéristiques propres à chaque encyclique, à l’enseignement  de chaque Pontife, mais sans jamais perdre de vue la cohérence de l’ensemble du corpus doctrinal [21].  Cohérence ne signifie pas fermeture, mais plutôt fidélité dynamique à une  lumière reçue. La doctrine sociale de l’Église éclaire d’une lumière qui ne  change pas les problèmes toujours nouveaux qui surgissent [22].  Cela préserve le caractère à la fois permanent et historique de ce « patrimoine »  doctrinal [23] qui, avec ses caractéristiques spécifiques, appartient à la Tradition toujours  vivante de l’Église [24].  La doctrine sociale est construite sur le fondement transmis par les Apôtres aux  Pères de l’Église, reçu et approfondi ensuite par les grands Docteurs chrétiens.  Cette doctrine renvoie en définitive à l’Homme nouveau, au « dernier Adam qui  est devenu l’être spirituel qui donne vie » (1 Co 15, 45), principe de la  charité qui « ne passera jamais » (1 Co 13, 8). Elle reçoit le témoignage  des saints et de tous ceux qui ont donné leurs vies pour le Christ Sauveur dans  le domaine de la justice et de la paix. En elle, s’exprime la mission  prophétique des Souverains Pontifes: guider d’une manière apostolique l’Église  du Christ et discerner les nouvelles exigences de l’évangélisation. C’est pour  ces raisons que Populorum progressio, inscrite dans le grand courant de  la Tradition, est encore en mesure de nous parler aujourd’hui.

13.    Outre son rapport avec l’ensemble de la doctrine sociale de l’Église, Populorum progressio est étroitement liée à tout le magistère de  Paul VI et, en particulier, à son magistère social. Cet enseignement social fut  d’une grande portée: il réaffirma l’importance déterminante de l’Évangile pour  l’édification d’une société de liberté et de justice, dans la perspective idéale  et historique d’une civilisation animée par l’amour.  Paul VI comprit clairement  que la question sociale était devenue mondiale [25] et il saisit l’interaction existant entre l’élan vers l’unification de l’humanité  et l’idéal chrétien d’une unique famille des peuples, solidaire dans une commune  fraternité. Il désigna le développement, compris au sens humain et chrétien,  comme le cœur du message social chrétien et proposa la charité chrétienne  comme force principale au service du développement. Poussé par le désir de  rendre l’amour du Christ pleinement visible à ses contemporains,  Paul VI affronta avec décision d’importantes questions morales, sans céder aux  faiblesses culturelles de son temps.

14.    Dans la lettre apostolique Octogesima adveniens de 1971,  Paul VI aborda par la suite la question du sens de la politique et du péril  représenté par des visions utopiques et idéologiques qui compromettaient sa  qualité éthique et humaine. Il s’agit de sujets étroitement liés au  développement. Malheureusement, les idéologies néfastes ne cessent de fleurir.  Conscient du grand danger de confier à la seule technique tout le processus du  développement, qui ainsi demeurerait sans ligne directrice,  Paul VI avait déjà  mis en garde contre l’idéologie technocratique, particulièrement forte  aujourd’hui [26].  Considérée en elle-même, la technique est ambivalente. Si, d’un côté, certains  tendent aujourd’hui à lui confier la totalité du processus de développement, de  l’autre on assiste à la naissance d’idéologies qui nient in toto l’utilité  même du développement, qu’elles considèrent comme foncièrement antihumain et  exclusivement facteur de dégradation. Ainsi, finit-on par condamner non  seulement l’orientation parfois fausse et injuste que les hommes donnent au  progrès, mais aussi les découvertes scientifiques elles-mêmes qui, utilisées à  bon escient, constituent au contraire une occasion de croissance pour tous.  L’idée d’un monde sans développement traduit une défiance à l’égard de l’homme  et de Dieu. C’est donc une grave erreur que de mépriser les capacités humaines  de contrôler les déséquilibres du développement ou même d’ignorer que l’homme  est constitutivement tendu vers l’« être davantage ». Absolutiser  idéologiquement le progrès technique ou aspirer à l’utopie d’une humanité  revenue à son état premier de nature sont deux manières opposées de séparer le  progrès de son évaluation morale et donc de notre responsabilité.

15.      Deux autres documents de  Paul VI sont moins directement liés à la  doctrine sociale: l’encyclique Humanæ vitæ du 25 juillet 1968 et l’exhortation  apostolique Evangelii nuntiandi du 8 décembre 1975. Ils sont cependant  très importants pour discerner le sens pleinement humain du développement  proposé par l’Église. Il est donc opportun de les lire en les mettant eux  aussi en relation avec Populorum progressio.

L’encyclique Humanæ vitæ souligne la signification tout à la fois  unitive et procréative de la sexualité, posant ainsi comme fondement de la  société le couple des époux, homme et femme, qui se reçoivent l’un l’autre dans  la distinction et dans la complémentarité; en tant donc que couple ouvert à la  vie [27]. Il  ne s’agit pas ici de morale purement individuelle: Humanæ vitæ montre les liens forts qui existent entre éthique de la vie et éthique sociale, en  inaugurant une thématique magistérielle qui a pris corps dans différents  documents, et finalement dans l’encyclique Evangelium vitæ de  Jean-Paul II [28]. L’Église  propose avec force ce lien entre éthique de la vie et éthique sociale,  consciente qu’une société ne peut « avoir des bases solides si, tout en  affirmant des valeurs comme la dignité de la personne, la justice et la paix,  elle se contredit radicalement en acceptant et en tolérant les formes les plus  diverses de mépris et de violation de la vie humaine, surtout si elle est faible  et marginalisée » [29].

L’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, pour sa part, est très étroitement liée au développement, car « l’évangélisation  – comme l’écrivait  Paul VI – ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte  des rapports concrets et permanents qui existent entre l’Évangile et la vie  personnelle et sociale de l’homme [30].  « Entre l’évangélisation et la promotion humaine – développement, libération –  il y a en effet des liens profonds » [31] :  conscient de cela,  Paul VI établissait un rapport clair entre l’annonce du  Christ et la promotion de la personne dans la société. Le témoignage de la  charité du Christ à travers des œuvres de justice, de paix et de développement  fait partie de l’évangélisation car, pour Jésus Christ, qui nous aime, l’homme  tout entier est important. C’est sur ces enseignements importants que se fonde  l’aspect missionnaire  [32] de la doctrine sociale de l’Église en tant que composante essentielle de l’évangélisation [33].  La doctrine sociale de l’Église est annonce et témoignage de foi. C’est un  instrument et un lieu indispensable de l’éducation de la foi.

16.       Dans Populorum progressioPaul VI a voulu nous dire, avant  tout, que le progrès, dans son apparition et son essence, est une vocation:  « Dans le dessein de Dieu, chaque homme est appelé à se développer car toute vie  est vocation » [34].  C’est précisément ce qui autorise l’Église à intervenir dans les problématiques  du développement. Si ce dernier ne concernait que des aspects techniques de la  vie de l’homme, et non le sens de sa marche dans l’Histoire avec ses autres  frères ou la définition du but d’un tel cheminement, l’Église n’aurait aucun  titre pour en parler. Comme  Léon XIII dans Rerum novarum [35]Paul VI était conscient de s’acquitter d’un devoir propre à sa charge, en  projetant la lumière de l’Évangile sur les questions sociales de son temps [36].

Définir le développement comme une vocation, c’est reconnaître, d’un  côté, qu’il naît d’un appel transcendant et, de l’autre, qu’il est incapable de  se donner par lui-même son sens propre ultime. Ce n’est pas sans raison que le  mot “vocation” revient dans un autre passage de l’encyclique, où il est affirmé:  « Il n’y a donc d’humanisme vrai qu’ouvert à l’Absolu, dans la reconnaissance  d’une vocation, qui donne l’idée vraie de la vie humaine » [37].  Cette vision du développement est le cœur de Populorum progressio et  anime toutes les réflexions de  Paul VI sur la liberté, la vérité et la charité  dans le développement. C’est la raison principale pour laquelle cette encyclique  demeure encore actuelle de nos jours.

17.       La vocation est un appel qui réclame une réponse libre et  responsable. Le développement humain intégral suppose la liberté responsable de la personne et des peuples: aucune structure ne peut garantir ce  développement en dehors et au-dessus de la responsabilité humaine. Les « messianismes  prometteurs, mais bâtisseurs d’illusions » [38] fondent toujours leurs propositions sur la négation de la dimension  transcendante du développement, étant certains de l’avoir tout entier à leur  disposition. Cette fausse sécurité se change en faiblesse, parce qu’elle  entraîne l’asservissement de l’homme, réduit à n’être qu’un moyen en vue du  développement, tandis que l’humilité de celui qui accueille une vocation se  transforme en autonomie véritable, parce qu’elle libère la personne.  Paul VI ne  doute pas que des obstacles et des conditionnements freinent le développement,  mais il reste certain que « chacun demeure, quelles que soient les influences  qui s’exercent sur lui, l’artisan principal de sa réussite ou de son échec » [39].  Cette liberté concerne le développement qui a lieu sous nos yeux, mais aussi, en  même temps, les situations de sous-développement qui ne sont pas le fruit du  hasard ou d’une nécessité historique, mais qui dépendent de la responsabilité  humaine. C’est pourquoi « les peuples de la faim interpellent aujourd’hui de  façon dramatique les peuples de l’opulence » [40].  Il s’agit là encore d’une vocation, en tant qu’appel adressé par des hommes  libres à des hommes libres pour qu’ils prennent ensemble leurs responsabilités.  Paul VI eut une compréhension pénétrante de l’importance des structures  économiques et des institutions, mais il perçut tout aussi clairement qu’elles  étaient des instruments au service de la liberté humaine. Le développement ne  peut être intégralement humain que s’il est libre; seul un régime de liberté  responsable lui permet de se développer de façon juste.

18.       Outre la liberté, le développement intégral de l’homme comme  vocation exige aussi qu’on en respecte la vérité. La vocation au progrès  pousse les hommes à « faire, connaître et avoir plus, pour être plus » [41].  Mais là est le problème: que signifie « être davantage »? À cette question,  Paul VI répond en indiquant la caractéristique essentielle du développement  authentique: il « doit être intégral, c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout  l’homme » [42].  Parmi les différentes visions concurrentes de l’homme proposées dans la société  d’aujourd’hui plus encore qu’au temps de  Paul VI, la vision chrétienne a la  particularité d’affirmer et de justifier la valeur inconditionnelle de la  personne humaine et le sens de sa croissance. La vocation chrétienne au  développement aide à poursuivre la promotion de tous les hommes et de tout l’homme.  Paul VI écrivait: « Ce qui compte pour nous, c’est l’homme, chaque homme, chaque  groupement d’hommes, jusqu’à l’humanité tout entière » [43].  La foi chrétienne se préoccupe du développement sans s’appuyer sur des  privilèges ou sur des positions de pouvoir, ni même sur les mérites des  chrétiens qui ont certes existé et existent encore aujourd’hui en même temps que  leurs limites naturelles [44],  mais uniquement sur le Christ, à qui doit être rapportée toute vocation  authentique au développement humain intégral. L’Évangile est un élément  fondamental du développement, parce qu’en lui le Christ, « dans la  révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme  à lui-même » [45].  Eduquée par son Seigneur, l’Église scrute les signes des temps et les interprète  et elle offre au monde « ce qu’elle possède en propre: une vision globale de l’homme  et de l’humanité » [46].  Précisément parce que Dieu prononce le plus grand « oui » à l’homme [47],  l’homme ne peut faire moins que de s’ouvrir à l’appel divin pour réaliser son  propre développement. La vérité du développement réside dans son intégralité:  s’il n’est pas de tout l’homme et de tout homme, le développement n’est pas un  vrai développement. Tel est le centre du message de Populorum progressio,  valable aujourd’hui et toujours. Le développement humain intégral sur le plan  naturel, réponse à un appel du Dieu créateur [48],  demande de trouver sa vérité dans un « humanisme transcendant, qui (…) donne [à  l’homme] sa plus grande plénitude: telle est la finalité suprême du  développement personnel » [49].  La vocation chrétienne à ce développement concerne donc le plan naturel comme le  plan surnaturel; c’est pourquoi « quand Dieu est éclipsé, notre capacité de  reconnaître l’ordre naturel, le but et le “bien” commence à s’évanouir  » [50].

19.       Enfin, la vision du développement en tant que vocation implique que la charité y occupe une place centrale. Dans l’encyclique Populorum progressio, Paul VI observait que les causes du sous-développement ne sont pas d’abord d’ordre  matériel. Il nous invitait à les rechercher dans d’autres dimensions de l’homme:  tout d’abord dans la volonté, qui se désintéresse souvent des devoirs de la  solidarité; en second lieu, dans la pensée qui ne parvient pas toujours à  orienter convenablement le vouloir. C’est pourquoi, dans la quête du  développement, il faut « des sages de réflexion profonde, à la recherche d’un  humanisme nouveau, qui permette à l’homme moderne de se retrouver lui-même » [51]. Mais ce n’est pas tout. Le  sous-développement a une cause encore plus profonde que le déficit de réflexion:  c’est « le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples » [52].  Cette fraternité, les hommes pourront-ils jamais la réaliser par eux seuls? La  société toujours plus mondialisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas  frères. La raison, à elle seule, est capable de comprendre l’égalité entre les  hommes et d’établir une communauté de vie civique, mais elle ne parvient pas à  créer la fraternité. Celle-ci naît d’une vocation transcendante de Dieu Père,  qui nous a aimés en premier, nous enseignant par l’intermédiaire du Fils ce qu’est  la charité fraternelle. Dans sa présentation des différents niveaux du processus  de développement de l’homme,  Paul VI,  après avoir mentionné la foi, mettait au sommet « l’unité dans la charité du  Christ qui nous appelle tous à participer en fils à la vie du Dieu vivant, Père  de tous les hommes » [53].

20.       Ces perspectives, ouvertes par Populorum progressio, demeurent  fondamentales pour donner une envergure et une orientation à notre engagement au  service du développement des peuples. Populorum progressio souligne ensuite à  plusieurs reprises l’urgence des réformes [54] et demande que, face aux grands problèmes de l’injustice dans le développement  des peuples, on agisse avec courage et sans retard. Cette urgence est dictée  aussi par l’amour dans la vérité. C’est la charité du Christ qui nous pousse:  « Caritas  Christi urget nos » (2 Co 5, 14). L’urgence n’est pas seulement inscrite  dans les choses; elle ne découle pas uniquement de la pression des événements et  des problèmes, mais aussi de ce qui est proprement en jeu: la réalisation d’une  authentique fraternité. L’importance de cet objectif est telle qu’elle exige que  nous la comprenions pleinement et que nous nous mobilisions concrètement avec le  “cœur”, pour faire évoluer les processus économiques et sociaux actuels vers des  formes pleinement humaines.

 

 

 

CHAPITRE  II

LE  DÉVELOPPEMENT  HUMAIN AUJOURD’HUI

21.       Paul VI avait une vision structurée du développement. Par le  terme « développement », il voulait désigner avant tout l’objectif de faire  sortir les peuples de la faim, de la misère, des maladies endémiques et de l’analphabétisme.  Du point de vue économique, cela signifiait leur participation active, dans des  conditions de parité, à la vie économique internationale; du point de vue  social, leur évolution vers des sociétés instruites et solidaires; du point de  vue politique, la consolidation de régimes démocratiques capables d’assurer la  paix et la liberté. Après tant d’années, alors que nous observons avec  préoccupation le développement des crises qui se succèdent en ces temps, ainsi  que leurs conséquences, nous nous demandons dans quelle mesure les attentes  de Paul VI ont été satisfaites par le modèle de développement qui a été  adopté au cours de ces dernières décennies. Nous devons reconnaître que les  préoccupations de l’Église étaient fondées quant aux capacités de l’homme  purement ‘technologique’ à savoir se donner des objectifs réalistes et à  toujours savoir bien gérer les outils à sa disposition. Le profit est utile si,  en tant que moyen, il est orienté vers un but qui lui donne un sens relatif  aussi bien quant à la façon de le créer que de l’utiliser. La visée exclusive du  profit, s’il est produit de façon mauvaise ou s’il n’a pas le bien commun pour  but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. Le  développement économique que Paul VI souhaitait devait être en mesure de  produire une croissance réelle, qui s’étende à tous et soit concrètement durable.  Il est vrai que le développement a eu lieu et qu’il continue d’être un facteur  positif qui a tiré de la misère des milliards de personnes et que, récemment  encore, il a permis à de nombreux pays de devenir des acteurs réels de la  politique internationale. Toutefois, il faut reconnaître que ce même  développement économique a été et continue d’être obéré par des déséquilibres et par des problèmes dramatiques, mis encore davantage en relief par l’actuelle  situation de crise. Celle-ci nous met sans délai face à des choix qui sont  toujours plus étroitement liés au destin même de l’homme, qui par ailleurs ne  peut faire abstraction de sa nature. Les forces techniques employées, les  échanges planétaires, les effets délétères sur l’économie réelle d’une activité  financière mal utilisée et, qui plus est, spéculative, les énormes flux  migratoires, souvent provoqués et ensuite gérés de façon inappropriée, l’exploitation  anarchique des ressources de la terre, nous conduisent aujourd’hui à réfléchir  sur les mesures nécessaires pour résoudre des problèmes qui non seulement sont  nouveaux par rapport à ceux qu’affrontait le Pape Paul VI, mais qui ont aussi,  et surtout, un impact décisif sur le bien présent et futur de l’humanité. Les  aspects de la crise et de ses solutions, ainsi qu’un nouveau et possible  développement futur, sont toujours plus liés les uns aux autres. Ils s’impliquent  réciproquement et ils requièrent des efforts renouvelés de compréhension globale  et une nouvelle synthèse humaniste. La complexité et la gravité de la  situation économique actuelle nous préoccupent à juste titre, mais nous devons  assumer avec réalisme, confiance et espérance les nouvelles responsabilités  auxquelles nous appelle la situation d’un monde qui a besoin de se renouveler en  profondeur au niveau culturel et de redécouvrir les valeurs de fond sur  lesquelles construire un avenir meilleur. La crise nous oblige à reconsidérer  notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles  formes d’engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles  qui sont négatives. La crise devient ainsi une occasion de discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets. C’est dans cette  optique, confiants plutôt que résignés, qu’il convient d’affronter les  difficultés du moment présent.

22.       Le cadre du développement est aujourd’hui multipolaire. Les  acteurs et les causes du sous-développement comme du développement sont  multiples, les erreurs et les mérites le sont aussi. Cette donnée devrait  conduire à se libérer des idéologies, qui simplifient souvent de façon  artificielle la réalité, et à examiner avec objectivité la dimension humaine des  problèmes. La ligne de démarcation entre pays riches et pauvres n’est plus aussi  nette qu’aux temps de Populorum progressio, comme l’avait déjà indiqué Jean-Paul II [55]. La richesse mondiale croît en termes absolus, mais les inégalités augmentent.  Dans les pays riches, de nouvelles catégories sociales s’appauvrissent et de  nouvelles pauvretés apparaissent. Dans des zones plus pauvres, certains groupes  jouissent d’une sorte de surdéveloppement où consommation et gaspillage vont de  pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec des situations permanentes de  misère déshumanisante. « Le scandale de disparités criantes » [56] demeure. La corruption et le non-respect des lois existent malheureusement aussi  bien dans le comportement des acteurs économiques et politiques des pays riches,  anciens et nouveaux, que dans les pays pauvres. Ceux qui ne respectent pas les  droits humains des travailleurs dans les différents pays sont aussi bien de  grandes entreprises multinationales que des groupes de production locale. Les  aides internationales ont souvent été détournées de leur destination, en raison  d’irresponsabilités qui se situent aussi bien dans la chaîne des donateurs que  des bénéficiaires. Nous pouvons aussi identifier le même enchainement de  responsabilités dans les causes immatérielles et culturelles du développement et  du sous-développement. Il existe des formes excessives de protection des  connaissances de la part des pays riches à travers l’utilisation trop stricte du  droit à la propriété intellectuelle, particulièrement dans le domaine de la  santé. En même temps, dans certains pays pauvres, subsistent des modèles  culturels et des normes sociales de comportement qui ralentissent le processus  de développement.

23.       Bien que de façon fragile et non homogène, de nombreuses régions du  globe se sont aujourd’hui développées, entrant au nombre des grandes puissances  destinées à jouer un rôle important dans l’avenir. Il faut néanmoins souligner qu’il n’est pas suffisant de progresser du seul point de vue économique et  technologique. Il faut avant tout que le développement soit vrai et intégral.  Sortir du retard économique, fait en soi positif, ne résout pas la problématique  complexe de la promotion de l’homme, ni pour les pays bénéficiaires de ces  avancées, ni pour les pays déjà économiquement développés, ni non plus pour ceux  qui restent pauvres; ceux-ci peuvent également souffrir, en dehors des anciennes  formes d’exploitation, des conséquences néfastes provenant d’une croissance  marquée par des dévoiements et des déséquilibres.

Après l’écroulement du système économique et politique des pays communistes  de l’Europe de l’Est et la fin de ce que l’on appelait les blocs opposés,  une nouvelle réflexion globale sur le développement aurait été nécessaire.  Jean-Paul II l’avait demandée, lui qui, en 1987, avait indiqué l’existence de  ces blocs comme une des principales causes du sous-développement [57],  car la politique soustrayait des ressources à l’économie et à la  culture et l’idéologie étouffait la liberté. En 1991, après les événements  de 1989, il avait aussi réclamé que, à la fin des blocs, corresponde une  refonte globale du développement, non seulement dans ces pays, mais aussi en  Occident et dans les régions du monde qui se développaient [58].  Cela n’est advenu que partiellement et continue d’être un devoir réel qu’il  convient d’honorer, éventuellement en mettant vraiment à profit les choix  nécessaires pour dépasser les problèmes économiques actuels.

24.       Le monde que le Pape Paul VI avait sous les yeux, même si le  processus de socialisation était déjà suffisamment avancé pour qu’il puisse  parler d’une question sociale devenue mondiale, était alors beaucoup moins  intégré que celui d’aujourd’hui. L’activité économique et la fonction politique  s’exerçaient en grande partie à l’intérieur du même espace et pouvaient donc s’appuyer  l’une sur l’autre. L’activité de production s’inscrivait principalement à l’intérieur  des frontières nationales et les investissements financiers avaient une  dimension plutôt limitée à l’étranger, si bien que la politique de nombreux  États pouvait encore fixer les priorités de l’économie et, d’une certaine façon,  en orienter le fonctionnement avec les instruments dont elle disposait. Pour  cette raison, l’encyclique Populorum progressio assignait un rôle central,  toutefois de façon non exclusive, aux « pouvoirs publics » [59].

A notre époque, l’État se trouve dans la situation de devoir faire face aux  limites que pose à sa souveraineté le nouveau contexte commercial et financier  international, marqué par une mobilité croissante des capitaux financiers et des  moyens de production matériels et immatériels. Ce nouveau contexte a modifié le  pouvoir politique des États.

Aujourd’hui, fort des leçons données par l’actuelle crise économique où les pouvoirs publics de l’État sont directement impliqués dans la correction  des erreurs et des dysfonctionnements, une évaluation nouvelle de leur rôle et de leur pouvoir semble plus réaliste; ceux-ci doivent être sagement  reconsidérés et repensés pour qu’ils soient en mesure, y compris à travers de  nouvelles modalités d’exercice, de faire face aux défis du monde contemporain. A  partir d’un rôle mieux ajusté des pouvoirs publics, on peut espérer que se  renforceront les nouvelles formes de participation à la politique nationale et  internationale qui voient le jour à travers l’action des organisations opérant  dans la société civile. En ce sens, il est souhaitable que grandissent de la  part des citoyens une attention et une participation plus larges à la res  publica.

25.       Du point de vue social, les systèmes de protection et de prévoyance  qui existaient déjà dans de nombreux pays à l’époque de  Paul VI, peinent et  pourraient avoir plus de mal encore à l’avenir à poursuivre leurs objectifs de  vraie justice sociale dans un cadre économique profondément modifié. Le marché  devenu mondial a stimulé avant tout, de la part de pays riches, la recherche de  lieux où délocaliser les productions à bas coût dans le but de réduire les prix  d’un grand nombre de biens, d’accroître le pouvoir d’achat et donc d’accélérer  le taux de croissance fondé sur une consommation accrue du marché interne. En  conséquence, le marché a encouragé des formes nouvelles de compétition entre les  États dans le but d’attirer les centres de production des entreprises étrangères,  à travers divers moyens, au nombre desquels une fiscalité avantageuse et la  dérégulation du monde du travail. Ces processus ont entraîné l’affaiblissement  des réseaux de protection sociale en contrepartie de la recherche de plus  grands avantages de compétitivité sur le marché mondial, faisant peser de graves  menaces sur les droits des travailleurs, sur les droits fondamentaux de l’homme  et sur la solidarité mise en œuvre par les formes traditionnelles de l’État  social. Les systèmes de sécurité sociale peuvent perdre la capacité de remplir  leur mission dans les pays émergents et dans les pays déjà développés, comme  dans des pays pauvres. Là, les politiques d’équilibre budgétaire, avec des  coupes dans les dépenses sociales, souvent recommandées par les Institutions  financières internationales, peuvent laisser les citoyens désarmés face aux  risques nouveaux et anciens. Une telle impuissance est accentuée par le manque  de protection efficace de la part des associations de travailleurs. L’ensemble  des changements sociaux et économiques font que les organisations syndicales éprouvent de plus grandes difficultés à remplir leur rôle de représentation des  intérêts des travailleurs, encore accentuées par le fait que les gouvernements,  pour des raisons d’utilité économique, posent souvent des limites à la liberté  syndicale ou à la capacité de négociation des syndicats eux-mêmes. Les réseaux  traditionnels de solidarité se trouvent ainsi contraints de surmonter des  obstacles toujours plus importants. L’invitation de la doctrine sociale de l’Église,  formulée dès Rerum novarum [60],  à susciter des associations de travailleurs pour la défense de leurs droits, est  donc aujourd’hui plus pertinente encore qu’hier, ceci afin de donner avant tout  une réponse immédiate et clairvoyante à l’urgence d’instaurer de nouvelles  synergies sur le plan international comme sur le plan local.

La mobilité du travail, liée à la déréglementation généralisée, a été  un phénomène important, qui comportait des aspects positifs par sa capacité à  stimuler la création de nouvelles richesses et l’échange entre différentes  cultures. Toutefois, quand l’incertitude sur les conditions de travail, en  raison des processus de mobilité et de déréglementation, devient endémique,  surgissent alors des formes d’instabilité psychologique, des difficultés à  construire un parcours personnel cohérent dans l’existence, y compris à l’égard  du mariage. Cela a pour conséquence l’apparition de situations humaines  dégradantes, sans parler du gaspillage social. Si l’on compare avec ce qui se  passait dans la société industrielle du passé, le chômage entraîne aujourd’hui  des aspects nouveaux de non-sens économique et la crise actuelle ne peut qu’aggraver  une telle situation. La mise à l’écart du travail pendant une longue période,  tout comme la dépendance prolongée vis-à-vis de l’assistance publique ou privée,  minent la liberté et la créativité de la personne ainsi que ses rapports  familiaux et sociaux avec de fortes souffrances sur le plan psychologique et  spirituel. Je voudrais rappeler à tous, et surtout aux gouvernants engagés à  donner un nouveau profil aux bases économiques et sociales du monde, que l’homme,  la personne, dans son intégrité, est le premier capital à sauvegarder et à  valoriser: « En effet, c’est l’homme qui est l’auteur, le centre et la fin  de toute la vie économico-sociale » [61].

26.       Sur le plan culturel, par rapport à l’époque de  Paul VI, la  différence est encore plus marquée. Les cultures avaient alors des contours  plutôt bien définis et possédaient des capacités plus grandes pour se défendre  contre les tentatives d’homogénéisation culturelle. Aujourd’hui, les occasions  d’interaction entre les cultures ont singulièrement augmenté ouvrant de  nouvelles perspectives au dialogue interculturel; un dialogue qui, pour être  réel, doit avoir pour point de départ la conscience profonde de l’identité  spécifique des différents interlocuteurs. On ne doit toutefois pas négliger le  fait que la marchandisation accrue des échanges culturels favorise aujourd’hui  un double danger. On note, en premier lieu, un éclectisme culturel assumé  souvent de façon non-critique: les cultures sont simplement mises côte à côte et  considérées comme substantiellement équivalentes et interchangeables entre elles.  Cela favorise un glissement vers un relativisme qui n’encourage pas le vrai  dialogue interculturel; sur le plan social, le relativisme culturel conduit  effectivement les groupes culturels à se rapprocher et à coexister, mais sans  dialogue authentique et, donc, sans véritable intégration. En second lieu, il  existe un danger constitué par le nivellement culturel et par l’uniformisation  des comportements et des styles de vie. De cette manière, la signification  profonde de la culture des différentes nations, des traditions des divers  peuples, à l’intérieur desquelles la personne affronte les questions  fondamentales de l’existence en vient à disparaître [62]Éclectisme et nivellement culturel ont en commun de séparer la culture de la  nature humaine. Ainsi, les cultures ne savent plus trouver leur mesure dans une  nature qui les transcende [63],  et elles finissent par réduire l’homme à un donné purement culturel. Quand cela  advient, l’humanité court de nouveaux périls d’asservissement et de manipulation.

27.       Dans bien des pays pauvres, l’extrême insécurité vitale, qui est la  conséquence des carences alimentaires, demeure et risque de s’aggraver: la  faim fauche encore de très nombreuses victimes parmi les innombrables Lazare  auxquels il n’est pas permis de s’asseoir, comme le souhaitait   Paul VI, à la  table du mauvais riche [64]. Donner à manger aux affamés (cf. Mt 25, 35.37.42) est un impératif  éthique pour l’Église universelle, qui répond aux enseignements de solidarité et  de partage de son Fondateur, le Seigneur Jésus. Éliminer la faim dans le monde  est devenu, par ailleurs, à l’ère de la mondialisation, une exigence à  poursuivre pour sauvegarder la paix et la stabilité de la planète. La faim ne  dépend pas tant d’une carence de ressources matérielles, que d’une carence de  ressources sociales, la plus importante d’entre elles étant de nature  institutionnelle. Il manque en effet une organisation des institutions  économiques qui soit en mesure aussi bien de garantir un accès régulier et  adapté du point de vue nutritionnel à la nourriture et à l’eau, que de faire  face aux nécessités liées aux besoins primaires et aux urgences des véritables  crises alimentaires, provoquées par des causes naturelles ou par l’irresponsabilité  politique nationale ou internationale. Le problème de l’insécurité alimentaire  doit être affronté dans une perspective à long terme, en éliminant les causes  structurelles qui en sont à l’origine et en promouvant le développement agricole  des pays les plus pauvres à travers des investissements en infrastructures  rurales, en systèmes d’irrigation, de transport, d’organisation des marchés, en  formation et en diffusion des techniques agricoles appropriées, c’est-à-dire  susceptibles d’utiliser au mieux les ressources humaines, naturelles et  socio-économiques les plus accessibles au niveau local, de façon à garantir  aussi leur durabilité sur le long terme. Tout cela doit être réalisé en  impliquant les communautés locales dans les choix et les décisions relatives à  l’usage des terres cultivables. Dans une telle perspective, il serait utile de  considérer les nouvelles frontières qui sont ouvertes par l’usage correct des  techniques de production agricole aussi bien traditionnelles qu’innovantes, à  condition que ces dernières, ayant été étudiées attentivement, soient reconnues  convenables, respectueuses de l’environnement et attentives aux populations les  plus défavorisées. En même temps, la question d’une juste réforme agraire dans  les pays en voie de développement ne devrait pas être négligée. Le droit à l’alimentation,  de même que le droit à l’eau, revêtent un rôle important pour l’acquisition d’autres  droits, en commençant avant tout par le droit fondamental à la vie. Il est donc  nécessaire que se forme une conscience solidaire qui considère l’alimentation  et l’accès à l’eau comme droits universels de tous les êtres humains, sans  distinction ni discrimination [65].  Il est en outre important de souligner combien la voie de la solidarité pour le  développement des pays pauvres peut constituer un projet de solution de la crise  mondiale actuelle, comme des hommes politiques et des responsables d’Institutions  internationales l’ont mis en évidence ces derniers temps. En soutenant les pays  économiquement pauvres par des plans de financement inspirés par la solidarité,  pour qu’ils pourvoient eux-mêmes à la satisfaction de la demande de biens de  consommation et de développement provenant de leurs propres citoyens, non  seulement on peut produire une vraie croissance économique, mais on peut aussi  concourir à soutenir les capacités de production des pays riches qui risquent d’être  compromises par la crise.

28.       Un des aspects les plus évidents du développement contemporain est  l’importance du thème du respect de la vie, qui ne peut en aucun cas être  disjoint des questions relatives au développement des peuples. Il s’agit d’un  point qui depuis quelque temps prend une importance toujours plus grande, nous  obligeant à élargir les concepts de pauvreté [66] et de sous-développement aux questions liées à l’accueil de la vie, surtout là  où celle-ci est de diverses manières refusée.

Non seulement la pauvreté provoque encore dans de nombreuses régions un taux  élevé de mortalité infantile, mais en plusieurs endroits du monde subsistent des  pratiques de contrôle démographique par les instances gouvernementales, qui  souvent diffusent la contraception et vont jusqu’à imposer l’avortement. Dans  les pays économiquement plus développés, les législations contraires à la vie  sont très répandues et ont désormais conditionné les coutumes et les usages,  contribuant à diffuser une mentalité antinataliste que l’on cherche souvent à  transmettre à d’autres États comme si c’était là un progrès culturel.

Certaines Organisations non-gouvernementales travaillent activement à la  diffusion de l’avortement, et promeuvent parfois dans les pays pauvres l’adoption  de la pratique de la stérilisation, y compris à l’insu des femmes. Par ailleurs,  ce n’est pas sans fondement que l’on peut soupçonner les aides au développement  d’être parfois liées à certaines politiques sanitaires impliquant de fait l’obligation  d’un contrôle contraignant des naissances. Sont également préoccupantes les  législations qui admettent l’euthanasie comme les pressions de groupes nationaux  et internationaux qui en revendiquent la reconnaissance juridique.

L’ouverture à la vie est au centre du vrai développement. Quand une  société s’oriente vers le refus et la suppression de la vie, elle finit par ne  plus trouver les motivations et les énergies nécessaires pour œuvrer au service  du vrai bien de l’homme. Si la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil  d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie  sociale se dessèchent [67].  L’accueil de la vie trempe les énergies morales et nous rend capables de nous  aider mutuellement. En cultivant l’ouverture à la vie, les peuples riches  peuvent mieux percevoir les besoins de ceux qui sont pauvres, éviter d’employer  d’importantes ressources économiques et intellectuelles pour satisfaire les  désirs égoïstes de leurs citoyens et promouvoir, en revanche, des actions  bénéfiques en vue d’une production moralement saine et solidaire, dans le  respect du droit fondamental de tout peuple et de toute personne à la vie.

29.       Il y a encore un autre aspect de la réalité d’aujourd’hui, lié de  façon très étroite au développement: c’est la négation du droit à la liberté  religieuse. Je ne me réfère pas seulement aux luttes et aux conflits qui,  dans le monde, ont des motifs religieux, même si parfois les raisons religieuses  ne servent qu’à couvrir des raisons d’un autre genre, en l’occurrence la soif de  pouvoir et de richesse. Comme mon prédécesseur Jean-Paul II [68] l’avait publiquement dit et déploré à plusieurs reprises et ainsi que je l’ai  fait moi-même, de fait, aujourd’hui on tue souvent en invoquant le saint nom de  Dieu. Les violences freinent le développement authentique et empêchent la marche  des peuples vers un plus grand bien-être socio-économique et spirituel. Cela  s’applique spécialement au terrorisme de nature fondamentaliste [69],  qui engendre douleur, dévastation et mort, bloque le dialogue entre les nations  et détourne d’importantes ressources de leur usage pacifique et civil. Il faut  néanmoins ajouter que, outre le fanatisme religieux qui, en certains milieux,  empêche l’exercice du droit à la liberté religieuse, la promotion programmée de  l’indifférence religieuse ou de l’athéisme pratique de la part de nombreux pays  s’oppose elle aussi aux exigences du développement des peuples, en leur  soustrayant l’accès aux ressources spirituelles et humaines. Dieu est le  garant du véritable développement de l’homme, puisque,  l’ayant créé à son image, Il en fonde aussi la dignité transcendante et alimente  en lui la soif d’« être plus ». L’homme n’est pas un atome perdu dans un univers  de hasard [70], mais il est une  créature de Dieu, à qui Il a voulu donner une âme immortelle et qu’Il aime  depuis toujours. Si l’homme n’était que le fruit du hasard ou de la nécessité,  ou bien s’il devait réduire ses aspirations à l’horizon restreint des situations  dans lesquelles il vit, si tout n’était qu’histoire et culture et si l’homme  n’avait pas une nature destinée à être transcendée dans une vie surnaturelle, on  pourrait parler de croissance ou d’évolution, mais pas de développement. Quand  l’État promeut, enseigne, ou même impose, des formes d’athéisme pratique, il  soustrait à ses citoyens la force morale et spirituelle indispensable pour  s’engager en faveur du développement humain intégral et il les empêche d’avancer  avec un dynamisme renouvelé dans leur engagement pour donner une réponse humaine  plus généreuse à l’amour de Dieu [71].  Il arrive aussi que les pays économiquement développés ou émergents exportent  vers les pays pauvres, dans le contexte de leur rapports culturels, commerciaux  et politiques, cette vision réductrice de la personne et de sa destinée. C’est  le dommage que le « surdéveloppement » [72] inflige au développement authentique, quand il s’accompagne d’un «  sous-développement moral » [73].

30.       Dans cette perspective, le thème du développement humain intégral  revêt une portée encore plus complexe: la corrélation entre ses multiples  composantes exige qu’on s’efforce de faire interagir les divers niveaux du  savoir humain en vue de la promotion d’un vrai développement des peuples. On  estime souvent que le développement, ou les mesures socio-économiques qui s’y  rapportent, demandent seulement à être mis en œuvre comme fruit d’un agir commun.  Toutefois, cet agir commun a besoin d’être orienté, parce que « toute action  sociale engage une doctrine » [74].  Compte tenu de la complexité des problèmes, il est évident que les différentes  disciplines scientifiques doivent collaborer dans une interdisciplinarité  ordonnée. La charité n’exclut pas le savoir, mais le réclame, le promeut et  l’anime de l’intérieur. Le savoir n’est jamais seulement l’œuvre de  l’intelligence. Il peut certainement être réduit à des calculs ou à des  expériences, mais s’il veut être une sagesse capable de guider l’homme à la  lumière des principes premiers et de ses fins dernières, il doit être « relevé »  avec le « sel » de la charité. Le faire sans le savoir est aveugle et le savoir  sans amour est stérile. En effet, « celui qui est animé d’une vraie charité est  ingénieux à découvrir les causes de la misère, à trouver les moyens de la  combattre, à la vaincre résolument » [75].  Face aux phénomènes auxquels nous sommes confrontés, l’amour dans la vérité  demande d’abord et avant tout à connaître et à comprendre, en reconnaissant et  en respectant la compétence spécifique propre à chaque champ du savoir. La  charité n’est pas une adjonction supplémentaire, comme un appendice au travail  une fois achevé des diverses disciplines, mais au contraire elle dialogue avec  elles du début à la fin. Les exigences de l’amour ne contredisent pas celles de  la raison. Le savoir humain est insuffisant et les conclusions des sciences ne  pourront pas, à elles seules, indiquer le chemin vers le développement intégral  de l’homme. Il est toujours nécessaire d’aller plus loin: l’amour dans la  vérité le commande [76].  Aller au-delà, néanmoins, ne signifie jamais faire abstraction des conclusions  de la raison ni contredire ses résultats. Il n’y a pas l’intelligence puis  l’amour: il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour.

31.       Cela signifie que les évaluations morales et la recherche  scientifique doivent croître ensemble et que la charité doit les animer en un  ensemble interdisciplinaire harmonieux, fait d’unité et de distinction. La  doctrine sociale de l’Église, qui a « une importante dimension  interdisciplinaire » [77],  peut remplir, dans cette perspective, une fonction d’une efficacité  extraordinaire. Celle-ci permet à la foi, à la théologie, à la métaphysique et  aux sciences de trouver leur place en collaborant au service de l’homme. C’est  ici surtout que la doctrine sociale de l’Église concrétise sa dimension  sapientielle. Paul VI avait vu clairement que parmi les causes du  sous-développement, il y a un manque de sagesse, de réflexion, de pensée capable  de réaliser une synthèse directrice [78],  pour laquelle « une claire vision de tous les aspects économiques, sociaux,  culturels et spirituels » [79] est exigée. Le morcellement excessif du savoir [80],  la fermeture des sciences humaines à la métaphysique [81],  les difficultés du dialogue entre les sciences et la théologie portent préjudice  non seulement au développement du savoir, mais aussi au développement des  peuples car, quand cela se vérifie, il devient plus difficile de distinguer le  bien intégral de l’homme dans les différentes dimensions qui le caractérisent.  L’« élargissement de notre conception et de notre usage de la raison » [82] est indispensable pour réussir à peser adéquatement tous les termes de la  question du développement et de la solution des problèmes socio-économiques.

32.       Les grandes nouveautés, que le domaine du développement des peuples  présente aujourd’hui, appellent en de nombreux cas des solutions neuves.  Celles-ci doivent être recherchées en même temps dans le respect des lois  propres à chaque réalité et à la lumière d’une vision intégrale de l’homme qui  prenne en compte les différents aspects de la personne humaine, considérée avec  un regard purifié par la charité. On découvrira alors de singulières  convergences et des possibilités concrètes de solution, sans renoncer à aucune  composante fondamentale de la vie humaine.

La dignité de la personne et les exigences de la justice demandent, aujourd’hui  surtout, que les choix économiques ne fassent pas augmenter de façon excessive  et moralement inacceptable les écarts de richesse [83] et que  l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail ou son maintien, pour tous. Tout bien considéré, c’est ce que la « raison  économique » exige aussi. L’accroissement systémique des inégalités entre les  groupes sociaux à l’intérieur d’un même pays et entre les populations des  différents pays, c’est-à-dire l’augmentation massive de la pauvreté au sens  relatif, non seulement tend à saper la cohésion sociale et met ainsi en danger  la démocratie, mais a aussi un impact négatif sur le plan économique à travers  l’érosion progressive du « capital social », c’est-à-dire de cet ensemble de  relations de confiance, de fiabilité, de respect des règles, indispensables à  toute coexistence civile.

C’est encore la science économique qui nous montre qu’une situation  structurelle d’insécurité produit des comportements anti-productifs et des  gaspillages de ressources humaines, dans la mesure où le travailleur tend à s’adapter  passivement aux mécanismes automatiques, au lieu de libérer sa créativité. Sur  ce point également, il existe une convergence entre science économique et  évaluation morale. Les coûts humains sont toujours aussi des coûts  économiques et les dysfonctionnements économiques entraînent toujours des  coûts humains.

Il convient également de rappeler que la réduction des cultures à la  dimension technologique, si elle peut favoriser à court terme la réalisation de  profits, constitue un obstacle à long terme à l’enrichissement réciproque et aux  dynamiques de collaboration. Il est important de distinguer entre les  considérations économiques ou sociologiques à court et à long terme. L’abaissement  du niveau de protection des droits des travailleurs et l’abandon des mécanismes  de redistribution des revenus pour donner au pays une plus grande compétitivité  internationale gênent la consolidation d’un développement à long terme. On doit  alors évaluer attentivement les conséquences sur les personnes des tendances  actuelles vers une économie du court, voire du très court terme. Cela demande une réflexion nouvelle et approfondie sur le sens de l’économie et de ses fins [84],  ainsi qu’une révision profonde et clairvoyante du modèle de développement pour  en corriger les dysfonctionnements et les déséquilibres. C’est ce qu’exige, en  outre, l’état de santé écologique de la planète et surtout ce qu’appelle la  crise culturelle et morale de l’homme, dont les symptômes sont depuis longtemps  évidents partout dans le monde.

33.       Plus de quarante ans après la parution de Populorum progressio,  sa thématique de fond, le progrès, demeure un problème en suspens, rendu  plus aigu et urgent en raison de la crise économique et financière actuelle. Si  certaines régions du globe, autrefois marquées par la pauvreté, ont connu des  changements notables en termes de croissance économique et de participation à la  production mondiale, d’autres régions sont encore plongées dans une situation de  misère comparable à celle qui existait au temps de Paul VI. Dans certains cas,  on peut même parler d’une réelle aggravation. Il est significatif que plusieurs  causes de cette situation aient déjà été identifiées par Populorum progressio,  comme par exemple les tarifs douaniers élevés imposés par les pays  économiquement développés et qui empêchent encore aujourd’hui les produits  provenant des pays pauvres d’entrer sur leurs marchés. En revanche, d’autres  causes, que l’encyclique avait seulement effleurées, se sont manifestées ensuite  plus clairement. C’est le cas pour l’évaluation du processus de décolonisation,  alors en plein déroulement; Paul VI souhaitait un chemin d’autonomie à parcourir  dans la liberté et dans la paix. Après plus de quarante ans, nous devons  reconnaître combien ce parcours a été difficile, aussi bien à cause de nouvelles  formes de colonialisme et de dépendance à l’égard d’anciens comme de nouveaux  pays dominants, qu’en raison de graves irresponsabilités internes aux pays  devenus indépendants.

La nouveauté majeure a été l’explosion de l’interdépendance planétaire,  désormais communément appelée mondialisation.  Paul VI l’avait déjà partiellement  prévue, mais les termes et la force avec laquelle elle s’est développée sont  surprenants. Né au sein des pays économiquement développés, ce processus par sa  nature a produit une intrication de toutes les économies. Celui-ci a été le  principal moteur pour que des régions entières sortent du sous-développement et  il représente en soi une grande opportunité. Toutefois, sans l’orientation de  l’amour dans la vérité, cet élan planétaire risque de provoquer des dommages  inconnus jusqu’alors ainsi que de nouvelles fractures au sein de la famille  humaine. C’est pourquoi l’amour et la vérité nous placent devant une tâche  inédite et créatrice, assurément vaste et complexe. Il s’agit d’élargir la  raison et de la rendre capable de comprendre et d’orienter ces nouvelles  dynamiques de grande ampleur, en les animant dans la perspective de cette « civilisation  de l’amour » dont Dieu a semé le germe dans chaque peuple et dans chaque  culture.

 

 

CHAPITRE  III

FRATERNITÉ,  DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE  ET  SOCIÉTÉ  CIVILE

34.       L’amour dans la vérité place l’homme devant l’étonnante  expérience du don. La gratuité est présente dans sa vie sous de multiples formes  qui souvent ne sont pas reconnues en raison d’une vision de l’existence purement  productiviste et utilitariste. L’être humain est fait pour le don; c’est le don  qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. L’homme moderne est  parfois convaincu, à tort, d’être le seul auteur de lui-même, de sa vie et de la  société. C’est là une présomption, qui dérive de la fermeture égoïste sur  lui-même, qui provient – pour parler en termes de foi – du péché des origines. La  sagesse de l’Église a toujours proposé de tenir compte du péché originel même  dans l’interprétation des faits sociaux et dans la construction de la société: «  Ignorer que l’homme a une nature blessée, inclinée au mal, donne lieu à de  graves erreurs dans le domaine de l’éducation, de la politique, de l’action  sociale et des mœurs » [85].  À la liste des domaines où se manifestent les effets pernicieux du péché, s’est  ajouté depuis longtemps déjà celui de l’économie. Nous en avons une nouvelle  preuve, évidente, en ces temps-ci. La conviction d’être autosuffisant et d’être  capable d’éliminer le mal présent dans l’histoire uniquement par sa seule action  a poussé l’homme à faire coïncider le bonheur et le salut avec des formes  immanentes de bien-être matériel et d’action sociale. De plus, la conviction de  l’exigence d’autonomie de l’économie, qui ne doit pas tolérer « d’influences »  de caractère moral, a conduit l’homme à abuser de l’instrument économique y  compris de façon destructrice. À la longue, ces convictions ont conduit à des  systèmes économiques, sociaux et politiques qui ont foulé aux pieds la liberté  de la personne et des corps sociaux et qui, précisément pour cette raison, n’ont  pas été en mesure d’assurer la justice qu’ils promettaient. Comme je l’ai  affirmé dans mon encyclique Spe salvi, de cette manière on retranche de  l’histoire l’espérance chrétienne [86],  qui est au contraire une puissante ressource sociale au service du développement  humain intégral, recherché dans la liberté et dans la justice. L’espérance  encourage la raison et lui donne la force d’orienter la volonté [87].  Elle est déjà présente dans la foi qui la suscite. La charité dans la vérité  s’en nourrit et, en même temps, la manifeste. Étant un don de Dieu absolument  gratuit, elle fait irruption dans notre vie comme quelque chose qui n’est pas dû,  qui transcende toute loi de justice. Le don par sa nature surpasse le mérite, sa  règle est la surabondance. Il nous précède dans notre âme elle-même comme le  signe de la présence de Dieu en nous et de son attente à notre égard. La vérité  qui, à l’égal de la charité, est un don, est plus grande que nous, comme l’enseigne  saint Augustin [88].  De même, notre vérité propre, celle de notre conscience personnelle, nous est  avant tout « donnée ». Dans tout processus cognitif, en effet, la vérité n’est  pas produite par nous, mais elle est toujours découverte ou, mieux, reçue. Comme  l’amour, elle « ne naît pas de la pensée ou de la volonté mais, pour ainsi dire,  s’impose à l’être humain » [89].

Parce qu’elle est un don que tous reçoivent, la charité dans la vérité est  une force qui constitue la communauté, unifie les hommes de telle manière qu’il  n’y ait plus de barrières ni de limites. Nous pouvons par nous-mêmes constituer  la communauté des hommes, mais celle-ci ne pourra jamais être, par ses seules  forces, une communauté pleinement fraternelle ni excéder ses propres limites, c’est-à-dire  devenir une communauté vraiment universelle: l’unité du genre humain, communion  fraternelle dépassant toutes divisions, naît de l’appel formulé par la parole du  Dieu-Amour. En affrontant cette question décisive, nous devons préciser, d’une  part, que la logique du don n’exclut pas la justice et qu’elle ne se juxtapose  pas à elle dans un second temps et de l’extérieur et, d’autre part, que si le  développement économique, social et politique veut être authentiquement humain,  il doit prendre en considération le principe de gratuité comme expression  de fraternité.

35.       Lorsqu’il est fondé sur une confiance réciproque et générale, le  marché est l’institution économique qui permet aux personnes de se  rencontrer, en tant qu’agents économiques, utilisant le contrat pour régler  leurs relations et échangeant des biens et des services fongibles entre eux pour  satisfaire leurs besoins et leurs désirs. Le marché est soumis aux principes de  la justice dite commutative, qui règle justement les rapports du  donner et du recevoir entre sujets égaux. Mais la doctrine sociale de l’Église  n’a jamais cessé de mettre en évidence l’importance de la justice  distributive et de la justice sociale pour l’économie de marché  elle-même, non seulement parce qu’elle est insérée dans les maillons d’un  contexte social et politique plus vaste, mais aussi à cause de la trame des  relations dans lesquelles elle se réalise. En effet, abandonné au seul principe  de l’équivalence de valeur des biens échangés, le marché n’arrive pas à produire  la cohésion sociale dont il a pourtant besoin pour bien fonctionner. Sans  formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut  pleinement remplir sa fonction économique. Aujourd’hui, c’est cette  confiance qui fait défaut, et la perte de confiance est une perte grave.

Dans Populorum progressioPaul VI soulignait de façon opportune le fait que le système économique lui-même aurait  tiré avantage des pratiques généralisées de justice, car les premiers à tirer  bénéfice du développement des pays pauvres auraient été les pays riches [90].  Il ne s’agit pas seulement de corriger des dysfonctionnements par l’assistance.  Les pauvres ne sont pas à considérer comme un « fardeau » [91],  mais au contraire comme une ressource, même du point de vue strictement  économique. Il faut considérer comme erronée la conception de certains qui  pensent que l’économie de marché a structurellement besoin d’un quota de  pauvreté et de sous-développement pour pouvoir fonctionner au mieux. L’intérêt  du marché est de promouvoir l’émancipation, mais pour le faire vraiment il ne  peut pas compter seulement sur lui-même, car il n’est pas en mesure de produire  de lui-même ce qui est au-delà de ses possibilités. Il doit puiser des énergies  morales auprès d’autres sujets, qui sont capables de les faire naître.

36.       L’activité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux  par la simple extension de la logique marchande. Celle-là doit viser  la recherche du bien commun, que la communauté politique d’abord doit aussi  prendre en charge. C’est pourquoi il faut avoir présent à l’esprit que séparer  l’agir économique, à qui il reviendrait seulement de produire de la richesse, de  l’agir politique, à qui il reviendrait de rechercher la justice au moyen de la  redistribution, est une cause de graves déséquilibres.

L’Église a toujours estimé que l’agir économique ne doit pas être considéré  comme antisocial. Le marché n’est pas de soi, et ne doit donc pas devenir, le  lieu de la domination du fort sur le faible. La société ne doit pas se protéger  du marché, comme si le développement de ce dernier comportait ipso facto l’extinction des relations authentiquement humaines. Il est certainement vrai  que le marché peut être orienté de façon négative, non parce que c’est là sa  nature, mais parce qu’une certaine idéologie peut l’orienter en ce sens. Il ne  faut pas oublier que le marché n’existe pas à l’état pur. Il tire sa forme des  configurations culturelles qui le caractérisent et l’orientent. En effet,  l’économie et la finance, en tant qu’instruments, peuvent être mal utilisées  quand celui qui les gère n’a comme point de référence que des intérêts égoïstes.  Ainsi peut-on arriver à transformer des instruments bons en eux mêmes en  instruments nuisibles. Mais c’est la raison obscurcie de l’homme qui produit ces  conséquences, non l’instrument lui-même. C’est pourquoi, ce n’est pas l’instrument  qui doit être mis en cause mais l’homme, sa conscience morale et sa  responsabilité personnelle et sociale.

La doctrine sociale de l’Église estime que des relations authentiquement  humaines, d’amitié et de socialité, de solidarité et de réciprocité, peuvent  également être vécues même au sein de l’activité économique et pas seulement en  dehors d’elle ou « après » elle. La sphère économique n’est, par nature, ni  éthiquement neutre ni inhumaine et antisociale. Elle appartient à l’activité de  l’homme et, justement parce que humaine, elle doit être structurée et organisée  institutionnellement de façon éthique.

Le grand défi qui se présente à nous, qui ressort des problématiques du  développement en cette période de mondialisation et qui est rendu encore plus  pressant par la crise économique et financière, est celui de montrer, au niveau  de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes  traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et la  responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du  don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur  place à l’intérieur de l’activité économique normale. C’est une exigence de  l’homme de ce temps, mais aussi une exigence de la raison économique elle-même.  C’est une exigence conjointe de la charité et de la vérité.

37.       La doctrine sociale de l’Église a toujours soutenu que la  justice se rapporte à toutes les phases de l’activité économique, parce qu’elle  concerne toujours l’homme et ses exigences. La découverte des ressources, les  financements, la production, la consommation et toutes les autres phases du  cycle économique ont inéluctablement des implications morales. Ainsi toute  décision économique a-t-elle une conséquence de caractère moral. Les  sciences sociales et les tendances de l’économie contemporaine le confirment  également. Peut-être fut-il un temps pensable de confier en premier lieu à  l’économie la tâche de produire des richesses, remettant ensuite à la politique  la tâche de les distribuer. Tout ceci se révèle aujourd’hui plus difficile,  puisque les activités économiques ne sont pas confinées à l’intérieur des  limites territoriales, alors que l’autorité des gouvernements continue à être  essentiellement locale. C’est pourquoi les règles de la justice doivent être  respectées dès la mise en route du processus économique, et non avant, après ou  parallèlement. Il est nécessaire aussi que, sur le marché, soient ouverts des  espaces aux activités économiques réalisées par des sujets qui choisissent  librement de conformer leur propre agir à des principes différents de ceux du  seul profit, sans pour cela renoncer à produire de la valeur économique. Les  nombreux types d’économie qui tirent leur origine d’initiatives religieuses et  laïques démontrent que cela est concrètement possible.

À l’époque de la mondialisation, l’économie pâtit de modèles de compétition  liés à des cultures très différentes les unes des autres. Les comportements  économiques et industriels qui en découlent trouvent généralement un point de  rencontre dans le respect de la justice commutative. La vie économique a  sans aucun doute besoin du contrat pour réglementer les relations d’échange  entre valeurs équivalentes. Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de redistribution guidées par la politique, ainsi que d’œuvres  qui soient marquées par l’esprit du don. L’économie mondialisée semble  privilégier la première logique, celle de l’échange contractuel mais,  directement ou indirectement, elle montre qu’elle a aussi besoin des deux autres,  de la logique politique et de la logique du don sans contrepartie.

38.       Mon prédécesseur  Jean-Paul II avait signalé cette problématique  quand, dans Centesimus annus, il avait relevé la nécessité d’un système  impliquant trois sujets: le marché, l’État et la société  civile [92].  Il avait identifié la société civile comme le cadre le plus approprié pour une économie de la gratuité et de la fraternité, mais il ne voulait pas l’exclure  des deux autres domaines. Aujourd’hui, nous pouvons dire que la vie économique  doit être comprise comme une réalité à plusieurs dimensions: en chacune d’elles,  à divers degrés et selon des modalités spécifiques, l’aspect de la réciprocité  fraternelle doit être présent. À l’époque de la mondialisation, l’activité  économique ne peut faire abstraction de la gratuité, qui répand et alimente la  solidarité et la responsabilité pour la justice et pour le bien commun auprès de  ses différents sujets et acteurs. Il s’agit, en réalité, d’une forme concrète et  profonde de démocratie économique. La solidarité signifie avant tout se sentir  tous responsables de tous [93],  elle ne peut donc être déléguée seulement à l’État. Si hier on pouvait penser  qu’il fallait d’abord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir  ensuite comme un complément, aujourd’hui, il faut dire que sans la gratuité on  ne parvient même pas à réaliser la justice. Il faut, par conséquent, un marché  sur lequel des entreprises qui poursuivent des buts institutionnels différents  puissent agir librement, dans des conditions équitables. À côté de l’entreprise  privée tournée vers le profit, et des divers types d’entreprises publiques, il  est opportun que les organisations productrices qui poursuivent des buts  mutualistes et sociaux puissent s’implanter et se développer. C’est de leur  confrontation réciproque sur le marché que l’on peut espérer une sorte d’hybridation  des comportements d’entreprise et donc une attention vigilante à la civilisation de l’économie. La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie  qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier  le profit, entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et  du profit comme but en soi.

39.       Dans Populorum progressioPaul VI demandait que soit  défini un modèle d’économie de marché capable d’intégrer, au moins  tendanciellement, tous les peuples et non seulement ceux qui étaient en mesure  d’y prendre part. Il demandait que le marché international soit le reflet  d’un monde où « tous auront à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns  soit un obstacle au développement des autres » [94].  De cette manière, il étendait au niveau universel les requêtes et les  aspirations déjà contenues dans Rerum novarum, où pour la première fois,  à la suite de la révolution industrielle, était affirmée l’idée – assurément  avancée pour l’époque – que pour subsister l’ordre civil avait besoin aussi de  l’intervention redistributive de l’État. Aujourd’hui cette vision est non  seulement remise en question par les processus d’ouverture des marchés et des  sociétés, mais elle apparaît aussi incomplète pour satisfaire les exigences  d’une économie pleinement humaine. Ce que la doctrine sociale de l’Église a  toujours soutenu, en partant de sa vision de l’homme et de la société, est  aujourd’hui requis aussi par les dynamiques caractéristiques de la  mondialisation.

Quand la logique du marché et celle de l’État s’accordent entre elles pour  perpétuer le monopole de leurs domaines respectifs d’influence, la solidarité  dans les relations entre les citoyens s’amoindrit à la longue, de même que la  participation et l’adhésion, l’agir gratuit, qui sont d’une nature différente du donner pour avoir, spécifique à la logique de l’échange, et du donner  par devoir, qui est propre à l’action publique, réglée par les lois de l’État.  Vaincre le sous-développement demande d’agir non seulement en vue de l’amélioration  des transactions fondées sur l’échange et des prestations sociales, mais surtout  sur l’ouverture progressive, dans un contexte mondial, à des formes d’activité  économique caractérisées par une part de gratuité et de communion. Le binôme  exclusif marché-État corrode la socialité, alors que les formes économiques  solidaires, qui trouvent leur terrain le meilleur dans la société civile sans se  limiter à elle, créent de la socialité. Le marché de la gratuité n’existe pas et  on ne peut imposer par la loi des comportements gratuits. Pourtant, aussi bien  le marché que la politique ont besoin de personnes ouvertes au don réciproque.

40.       Les dynamiques économiques internationales actuelles, caractérisées  par de graves déviances et des dysfonctionnements, appellent également de profonds changements dans la façon de concevoir l’entreprise. D’anciennes  formes de la vie des entreprises disparaissent, tandis que d’autres,  prometteuses, se dessinent à l’horizon. Un des risques les plus grands est sans  aucun doute que l’entreprise soit presque exclusivement soumise à celui qui  investit en elle et que sa valeur sociale finisse ainsi par être amoindrie. En  raison de la croissance de leurs dimensions et du besoin de capitaux toujours  plus importants, les entreprises ont de moins en moins à leur tête un  entrepreneur stable qui soit responsable à long terme de la vie et des résultats  de l’entreprise et pas seulement à court terme, et elles sont aussi toujours  moins liées à un territoire unique. En outre, la fameuse délocalisation de l’activité  productive peut atténuer chez l’entrepreneur le sens de ses responsabilités  vis-à-vis des porteurs d’intérêts, tels que les travailleurs, les fournisseurs,  les consommateurs, l’environnement naturel et, plus largement, la société  environnante, au profit des actionnaires, qui ne sont pas liés à un lieu  spécifique et qui jouissent donc d’une extraordinaire mobilité. En effet, le  marché international des capitaux offre aujourd’hui une grande liberté d’action.  Il est vrai cependant que l’on prend toujours davantage conscience de la  nécessité d’une plus ample « responsabilité sociale » de l’entreprise. Même si  les positions éthiques qui guident aujourd’hui le débat sur la responsabilité  sociale de l’entreprise ne sont pas toutes acceptables selon la perspective de  la doctrine sociale de l’Église, c’est un fait que se répand toujours plus la  conviction selon laquelle la gestion de l’entreprise ne peut pas tenir compte  des intérêts de ses seuls propriétaires, mais aussi de ceux de toutes les autres  catégories de sujets qui contribuent à la vie de l’entreprise: les  travailleurs, les clients, les fournisseurs des divers éléments de la  production, les communautés humaines qui en dépendent. Ces dernières années, on  a vu la croissance d’une classe cosmopolite de managers qui, souvent, ne  répondent qu’aux indications des actionnaires de référence, constitués en  général par des fonds anonymes qui fixent de fait leurs rémunérations. Cela n’empêche  pas qu’aujourd’hui il y ait de nombreux managers qui, grâce à des analyses  clairvoyantes, se rendent compte toujours davantage des liens profonds de leur  entreprise avec le territoire ou avec les territoires où elle opère.  Paul VI invitait à évaluer sérieusement le préjudice que le transfert de capitaux à l’étranger  exclusivement en vue d’un profit personnel, peut causer à la nation elle-même [95]Jean-Paul II observait qu’investir, outre sa signification économique, revêt toujours une signification morale [96].  Tout ceci – il faut le redire – est valable aujourd’hui encore, bien que le  marché des capitaux ait été fortement libéralisé et que les mentalités  technologiques modernes puissent conduire à penser qu’investir soit seulement un  fait technique et non pas aussi humain et éthique. Il n’y a pas de raison de  nier qu’un certain capital, s’il est investi à l’étranger plutôt que dans sa  patrie, puisse faire du bien. Cependant les requêtes de la justice doivent être  sauvegardées, en tenant compte aussi de la façon dont ce capital a été constitué  et des préjudices causés aux personnes par leur non emploi dans les lieux où ce  capital a été produit [97].  Il faut éviter que le motif de l’emploi des ressources financières soit  spéculatif et cède à la tentation de rechercher seulement un profit à court  terme, sans rechercher aussi la continuité de l’entreprise à long terme, son  service précis à l’économie réelle et son attention à la promotion, de façon  juste et convenable, d’initiatives économiques y compris dans les pays qui ont  besoin de développement. Il ne faut pas nier que lorsque la délocalisation  comporte des investissements et offre de la formation, elle peut être bénéfique  aux populations des pays d’accueil. Le travail et la connaissance technique sont  un besoin universel. Cependant il n’est pas licite de délocaliser seulement pour  jouir de faveurs particulières ou, pire, pour exploiter la société locale sans  lui apporter une véritable contribution à la mise en place d’un système  productif et social solide, facteur incontournable d’un développement stable.

41.       Dans le contexte de ce document, il est utile d’observer que l’entrepreneuriat a et doit toujours plus avoir une signification plurivalente. La  prééminence persistante du binôme marché-État nous a habitués à penser  exclusivement à l’entrepreneur privé de type capitaliste, d’une part, et au  haut-fonctionnaire de l’autre. En réalité, l’entrepreneuriat doit être compris de  façon diversifiée. Ceci découle d’une série de raisons méta-économiques. Avant  d’avoir une signification professionnelle, l’entrepreneuriat a une signification  humaine [98].  Il est inscrit dans tout travail, vu comme « actus personæ » [99] c’est pourquoi il est bon qu’à tout travailleur soit offerte la possibilité d’apporter  sa contribution propre de sorte que lui-même « sache travailler ‘à son compte’  » [100].  Ce n’est pas sans raison que Paul VI enseignait que « tout travailleur est un  créateur » [101].  C’est justement pour répondre aux exigences et à la dignité de celui qui  travaille, ainsi qu’aux besoins de la société, que divers types d’entreprises  existent, bien au-delà de la seule distinction entre « privé » et « public ».  Chacune requiert et exprime une capacité d’entreprise singulière. Dans le but de  créer une économie qui, dans un proche avenir, sache se mettre au service du  bien commun national et mondial, il est opportun de tenir compte de cette  signification élargie de l’entrepreneuriat. Cette conception plus large favorise  l’échange et la formation réciproque entre les diverses typologies d’entrepreneuriat,  avec un transfert de compétences du monde du non profit à celui du profit et vice-versa, du domaine public à celui de la société civile, de  celui des économies avancées à celui des pays en voie de développement.

L’autorité politique a, elle aussi, une signification  plurivalente qui ne peut être négligée, dans la mise en place d’un nouvel  ordre économico-productif, socialement responsable et à dimension humaine. De  même qu’on entend cultiver un entrepreneuriat différencié sur le plan mondial,  ainsi doit-on promouvoir une autorité politique répartie et active sur plusieurs  plans. L’économie intégrée de notre époque n’élimine pas le rôle des États, elle  engage plutôt les gouvernements à une plus forte collaboration réciproque. La  sagesse et la prudence nous suggèrent de ne pas proclamer trop hâtivement la fin  de l’État. Lié à la solution de la crise actuelle, son rôle semble destiné à  croître, tandis qu’il récupère nombre de ses compétences. Il y a aussi des  nations pour lesquelles la construction ou la reconstruction de l’État continue  d’être un élément clé de leur développement. L’aide internationale à l’intérieur  d’un projet de solidarité ciblé en vue de la solution des problèmes économiques  actuels, devrait en premier lieu soutenir la consolidation de systèmes  constitutionnels, juridiques, administratifs dans les pays qui ne jouissent pas  encore pleinement de ces biens. À côté des aides économiques, il doit y avoir  celles qui ont pour but de renforcer les garanties propres de l’État de droit,  un système d’ordre public et de détention efficace dans le respect des droits  humains, des institutions vraiment démocratiques. Il n’est pas nécessaire que l’État  ait partout les mêmes caractéristiques: le soutien aux systèmes constitutionnels  faibles en vue de leur renforcement peut très bien s’accompagner du  développement d’autres sujets politiques, de nature culturelle, sociale,  territoriale ou religieuse, à côté de l’État. L’articulation de l’autorité  politique au niveau local, national et international est, entre autres, une des  voies maîtresses pour parvenir à orienter la mondialisation économique. C’est  aussi le moyen pour éviter qu’elle ne mine dans les faits les fondements de la  démocratie.

42.       On relève parfois des attitudes fatalistes à l’égard de la mondialisation, comme si les dynamiques en acte étaient produites par des  forces impersonnelles anonymes et par des structures indépendantes de la volonté  humaine [102].  Il est bon de rappeler à ce propos que la mondialisation doit être certainement  comprise comme un processus socio-économique, mais ce n’est pas là son unique  dimension. Derrière le processus le plus visible se trouve la réalité d’une  humanité qui devient de plus en plus interconnectée. Celle-ci est constituée de  personnes et de peuples auxquels ce processus doit être utile et dont il doit  servir le développement [103] en vertu des responsabilités respectives prises aussi bien par des individus que  par la collectivité. Le dépassement des frontières n’est pas seulement un fait  matériel, mais il est aussi culturel dans ses causes et dans ses effets. Si on  regarde la mondialisation de façon déterministe, les critères pour l’évaluer et  l’orienter se perdent. C’est une réalité humaine et elle peut avoir en amont  diverses orientations culturelles sur lesquelles il faut exercer un discernement.  La vérité de la mondialisation comme processus et sa nature éthique fondamentale  dérivent de l’unité de la famille humaine et de son développement dans le bien.  Il faut donc travailler sans cesse afin de favoriser une orientation  culturelle personnaliste et communautaire, ouverte à la transcendance, du  processus d’intégration planétaire.

Malgré certaines de ses dimensions structurelles qui ne doivent pas être  niées, ni absolutisées, « la mondialisation, a priori, n’est ni bonne ni  mauvaise. Elle sera ce que les personnes en feront » [104].  Nous ne devons pas en être les victimes, mais les protagonistes, avançant avec  bon sens, guidés par la charité et par la vérité. S’y opposer aveuglément serait  une attitude erronée, préconçue, qui finirait par ignorer un processus porteur  d’aspects positifs, avec le risque de perdre une grande occasion de saisir les  multiples opportunités de développement qu’elle offre. Les processus de  mondialisation, convenablement conçus et gérés, offrent la possibilité d’une  grande redistribution de la richesse au niveau planétaire comme cela ne s’était  jamais présenté auparavant; s’ils sont mal gérés ils peuvent au contraire faire  croître la pauvreté et les inégalités, et contaminer le monde entier par une  crise. Il faut en corriger les dysfonctionnements, dont certains sont  graves, qui introduisent de nouvelles divisions entre les peuples et au sein des  peuples, et faire en sorte que la redistribution de la richesse n’entraîne pas  une redistribution de la pauvreté ou même son accentuation, comme une mauvaise  gestion de la situation actuelle pourrait nous le faire craindre. Pendant  longtemps, on a pensé que les peuples pauvres devaient demeurer fixés à un stade  préétabli de développement et devaient se contenter de la philanthropie des  peuples développés. Dans Populorum progressioPaul VI a pris position  contre cette mentalité. Aujourd’hui les ressources matérielles utilisables pour  faire sortir ces peuples de la misère sont théoriquement plus importantes qu’autrefois,  mais ce sont les peuples des pays développés eux-mêmes qui ont fini par en  profiter, eux qui ont pu mieux exploiter le processus de libéralisation des  mouvements de capitaux et du travail. La diffusion du bien-être à l’échelle  mondiale ne doit donc pas être freinée par des projets égoïstes,  protectionnistes ou dictés par des intérêts particuliers. En effet, l’implication  des pays émergents ou en voie de développement permet aujourd’hui de mieux gérer  la crise. La transition inhérente au processus de mondialisation présente des  difficultés et des dangers importants, qui pourront être surmontés seulement si  on sait prendre conscience de cette dimension anthropologique et éthique, qui  pousse profondément la mondialisation elle-même vers des objectifs d’humanisation  solidaire. Malheureusement cette dimension est souvent dominée et étouffée par  des perspectives éthiques et culturelles de nature individualiste et  utilitariste. La mondialisation est un phénomène multidimensionnel et polyvalent,  qui exige d’être saisi dans la diversité et dans l’unité de tous ses aspects, y  compris sa dimension théologique. Cela permettra de vivre et d’orienter la  mondialisation de l’humanité en termes de relationnalité, de communion et de  partage.

 

 

CHAPITRE  IV

DÉVELOPPEMENT  DES  PEUPLES, DROITS  ET  DEVOIRS,  ENVIRONNEMENT

43.       « La solidarité universelle qui est un fait, et un bénéfice pour  nous, est aussi un devoir » [105].  Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui sont tentés de prétendre ne rien devoir à  personne, si ce n’est à eux-mêmes. Ils estiment n’être détenteurs que de droits  et ils éprouvent souvent de grandes difficultés à grandir dans la responsabilité  à l’égard de leur développement personnel intégral et de celui des autres. C’est  pourquoi il est important de susciter une nouvelle réflexion sur le fait que les droits supposent des devoirs sans lesquels ils deviennent arbitraires [106].  Aujourd’hui, nous sommes témoins d’une grave contradiction. Tandis que, d’un  côté, sont revendiqués de soi-disant droits, de nature arbitraire et voluptuaire,  avec la prétention de les voir reconnus et promus par les structures publiques,  d’un autre côté, des droits élémentaires et fondamentaux d’une grande partie de  l’humanité sont ignorés et violés [107].  On a souvent noté une relation entre la revendication du droit au superflu ou  même à la transgression et au vice, dans les sociétés opulentes, et le manque de  nourriture, d’eau potable, d’instruction primaire ou de soins sanitaires  élémentaires dans certaines régions sous-développées ainsi que dans les  périphéries des grandes métropoles. Cette relation est due au fait que les  droits individuels, détachés du cadre des devoirs qui leur confère un sens  plénier, s’affolent et alimentent une spirale de requêtes pratiquement illimitée  et privée de repères. L’exaspération des droits aboutit à l’oubli des devoirs.  Les devoirs délimitent les droits parce qu’ils renvoient au cadre  anthropologique et éthique dans la vérité duquel ces derniers s’insèrent et  ainsi ne deviennent pas arbitraires. C’est pour cette raison que les devoirs  renforcent les droits et situent leur défense et leur promotion comme un  engagement à prendre en faveur du bien. Si, par contre, les droits de l’homme ne  trouvent leur propre fondement que dans les délibérations d’une assemblée de  citoyens, ils peuvent être modifiés à tout moment et, par conséquent, le devoir  de les respecter et de les promouvoir diminue dans la conscience commune. Les  Gouvernements et les Organismes internationaux peuvent alors oublier l’objectivité  et l’« indisponibilité » des droits. Quand cela se produit, le véritable  développement des peuples est mis en danger [108].  De tels comportements compromettent l’autorité des Organismes internationaux,  surtout aux yeux des pays qui ont le plus besoin de développement. Ceux-ci  demandent, en effet, que la communauté internationale considère comme un devoir  de les aider à être « les artisans de leur destin » [109],  c’est-à-dire à assumer eux-mêmes à leur tour des devoirs. Avoir en commun des  devoirs réciproques mobilise beaucoup plus que la seule revendication de droits.

44.       La conception des droits et des devoirs dans le développement est  mise à l’épreuve de manière dramatique par les problématiques liées à la croissance démographique. Il s’agit d’une limite très importante pour le  vrai développement, parce qu’elle concerne les valeurs primordiales de la vie et  de la famille [110].  Considérer l’augmentation de la population comme la cause première du  sous-développement est incorrect, même du point de vue économique: il suffit de  penser d’une part à l’importante diminution de la mortalité infantile et à l’allongement  moyen de la vie qu’on enregistre dans les pays économiquement développés, et d’autre  part, aux signes de crises qu’on relève dans les sociétés où l’on enregistre une  baisse préoccupante de la natalité. Il demeure évidemment nécessaire de prêter  l’attention due à une procréation responsable qui constitue, entre autres, une  contribution efficace au développement humain intégral. L’Église, qui a à cœur  le véritable développement de l’homme, lui recommande de respecter dans tout son  agir la réalité humaine authentique. Cette dimension doit être reconnue, en  particulier, en ce qui concerne la sexualité: on ne peut la réduire à un pur  fait hédoniste et ludique, de même que l’éducation sexuelle ne peut être réduite  à une instruction technique, dans l’unique but de défendre les intéressés d’éventuelles  contaminations ou du « risque » de procréation. Cela équivaudrait à appauvrir et  à ignorer le sens profond de la sexualité, qui doit au contraire être reconnue  et assumée avec responsabilité, tant par l’individu que par la communauté. En  effet, la responsabilité interdit aussi bien de considérer la sexualité comme  une simple source de plaisir, que de la réguler par des politiques de  planification forcée des naissances. Dans ces deux cas, on est en présence de  conceptions et de politiques matérialistes, où les personnes finissent par subir  différentes formes de violence. À tout cela, on doit opposer, en ce domaine, la  compétence primordiale des familles [111] par rapport à celle l’État et à ses politiques contraignantes, ainsi qu’une  éducation appropriée des parents.

L’ouverture moralement responsable à la vie est une richesse sociale et  économique. De grandes nations ont pu sortir de la misère grâce au grand  nombre de leurs habitants et à leurs potentialités. En revanches, des nations,  un temps prospères, connaissent à présent une phase d’incertitude et, dans  certains cas, de déclin à cause de la dénatalité qui est un problème crucial  pour les sociétés de bien-être avancé. La diminution des naissances, parfois  au-dessous du fameux « seuil de renouvellement », met aussi en difficulté les  systèmes d’assistance sociale, elle en augmente les coûts, réduit le volume de  l’épargne et, donc, les ressources financières nécessaires aux investissements,  elle réduit la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée, elle restreint la  réserve des « cerveaux » utiles pour les besoins de la nation. De plus, dans les  familles de petite, et même de toute petite dimension, les relations sociales  courent le risque d’être appauvries, et les formes de solidarité traditionnelle  de ne plus être garanties. Ce sont des situations symptomatiques d’une faible  confiance en l’avenir ainsi que d’une lassitude morale. Continuer à proposer aux  nouvelles générations la beauté de la famille et du mariage, la correspondance  de ces institutions aux exigences les plus profondes du cœur et de la dignité de  la personne devient ainsi une nécessité sociale, et même économique. Dans cette  perspective, les États sont appelés à mettre en œuvre des politiques qui  promeuvent le caractère central et l’intégrité de la famille, fondée sur le  mariage entre un homme et une femme, cellule première et vitale de la société [112].  prenant en compte ses problèmes économiques et fiscaux, dans le respect de sa  nature relationnelle.

45.       Répondre aux exigences morales les plus profondes de la personne a  aussi des retombées importantes et bénéfiques sur le plan économique. En effet, pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique; non pas  d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne. Aujourd’hui,  on parle beaucoup d’éthique dans le domaine économique, financier ou industriel.  Des Centres d’études et des parcours de formation de business ethics sont créés. Dans le monde développé, le système des certifications éthiques se  répand à la suite du mouvement d’idées né autour de la responsabilité sociale de  l’entreprise. Les banques proposent des comptes et des fonds d’investissement  appelés « éthiques ». Une « finance éthique » se développe surtout à travers le  microcrédit et, plus généralement, la microfinance. Ces processus sont  appréciables et méritent un large soutien. Leurs effets positifs se font sentir  même dans les régions les moins développées de la terre. Toutefois, il est bon  d’élaborer aussi un critère valable de discernement, car on note un certain abus  de l’adjectif « éthique » qui, employé de manière générique, se prête à désigner  des contenus très divers, au point de faire passer sous son couvert des  décisions et des choix contraires à la justice et au véritable bien de l’homme.

En fait, cela dépend en grande partie du système moral auquel on se réfère.  Sur ce thème, la doctrine sociale de l’Église a une contribution spécifique à  apporter, qui se fonde sur la création de l’homme « à l’image de Dieu » (Gn 1, 27), principe d’où découle la dignité inviolable de la personne humaine,  de même que la valeur transcendante des normes morales naturelles. Une éthique  économique qui méconnaîtrait ces deux piliers, risquerait inévitablement de  perdre sa signification propre et de se prêter à des manipulations. Plus  précisément, elle risquerait de s’adapter aux systèmes économiques et financiers  existant, au lieu de corriger leurs dysfonctionnements. Elle finirait également,  entre autres, par justifier le financement de projets non éthiques. En outre, il  ne faut pas utiliser le mot « éthique » de façon idéologiquement discriminatoire,  laissant entendre que les initiatives qui ne seraient pas formellement parées de  cette qualification, ne seraient pas éthiques. Il faut œuvrer – et cette  observation est ici essentielle! – non seulement pour que naissent des secteurs ou des lignes « éthiques » dans  l’économie ou dans la finance, mais pour que toute l’économie et toute la  finance soient éthiques et le soient non à cause d’un étiquetage extérieur, mais  à cause du respect d’exigences intrinsèques à leur nature même. La doctrine  sociale de l’Église aborde ce sujet avec clarté quand elle rappelle que  l’économie, en ses différentes ramifications, est un secteur de l’activité  humaine [113].

46.       Considérant les thématiques relatives au rapport entre  entreprise et éthique, ainsi que l’évolution que le système de production  connaît actuellement, il semble que la distinction faite jusqu’ici entre  entreprises à but lucratif (profit) et organisations à but non lucratif (non  profit) ne soit plus en mesure de rendre pleinement compte de la réalité, ni  d’orienter efficacement l’avenir. Au cours de ces dernières décennies, une ample  sphère intermédiaire entre ces deux types d’entreprises a surgi. Elle est  constituée d’entreprises traditionnelles, – qui cependant souscrivent des pactes  d’aide aux pays sous-développés –, de fondations qui sont l’expression d’entreprises  individuelles, de groupes d’entreprises ayant des buts d’utilité sociale, du  monde varié des acteurs de l’économie dite « civile et de communion ». Il ne s’agit  pas seulement d’un « troisième secteur », mais d’une nouvelle réalité vaste et  complexe, qui touche le privé et le public et qui n’exclut pas le profit mais le  considère comme un instrument pour réaliser des objectifs humains et sociaux. Le  fait que ces entreprises distribuent ou non leurs bénéfices ou bien qu’elles  prennent l’une ou l’autre des formes prévues par les normes juridiques devient  secondaire par rapport à leur orientation à concevoir le profit comme un moyen  pour parvenir à des objectifs d’humanisation du marché et de la société. Il est  souhaitable que ces nouveaux types d’entreprise trouvent également dans tous les  pays un cadre juridique et fiscal convenable. Sans rien ôter à l’importance et  à l’utilité économique et sociale des formes traditionnelles d’entreprise, elles  font évoluer le système vers une plus claire et complète acceptation de leurs  devoirs, de la part des agents économiques. Bien plus, la pluralité même des  formes institutionnelles de l’entreprise crée un marché plus civique et en même  temps plus compétitif.

47.       Le renforcement des diverses typologies d’entreprises et, en  particulier, de celles capables de concevoir le profit comme un instrument pour  parvenir à des objectifs d’humanisation du marché et des sociétés, doit être  poursuivi aussi dans les pays qui sont exclus ou mis en marge des circuits de  l’économie mondiale, et où il est très important d’avancer par le biais de  projets, fondés sur une subsidiarité conçue et administrée de façon adaptée, qui  tendent à affermir les droits tout en prévoyant toujours une prise de  responsabilités correspondantes. Dans les interventions en faveur du  développement, le principe de la centralité de la personne humaine doit être préservé car elle est le sujet qui, le premier, doit prendre en charge  la tâche du développement. L’urgence principale est l’amélioration des  conditions de vie des personnes concrètes d’une région donnée, afin qu’elles  puissent accomplir ces tâches qu’actuellement leur indigence ne leur permet pas  de remplir. La sollicitude ne peut jamais être une attitude abstraite. Les  programmes de développement, pour pouvoir être adaptés aux situations  particulières, doivent être caractérisés par la flexibilité. Et les personnes  qui en bénéficient devraient être directement associées à leur préparation et  devenir protagonistes de leur réalisation. Il est aussi nécessaire d’appliquer  les critères de la progression et de l’accompagnement – y compris pour le  contrôle des résultats –, car il n’existe pas de recettes universellement  valables. Cela dépend largement de la gestion concrète des interventions. « Ouvriers  de leur propre développement, les peuples en sont les premiers responsables.  Mais ils ne le réaliseront pas dans l’isolement » [114].  Aujourd’hui, avec la consolidation du processus d’intégration progressive de la  planète, cette exhortation de  Paul VI est encore plus actuelle. Les dynamiques  d’inclusion n’ont rien de mécanique. Les solutions doivent être adaptées à la  vie des peuples et des personnes concrètes, sur la base d’une évaluation  prévoyante de chaque situation. À côté des macroprojets, les microprojets sont  nécessaires et, plus encore, la mobilisation effective de tous les acteurs de la  société civile, des personnes juridiques comme des personnes physiques.

La coopération internationale a besoin de personnes qui aient en  commun le souci du processus de développement économique et humain, par la  solidarité de la présence, de l’accompagnement, de la formation et du respect.  De ce point de vue, les Organismes internationaux eux-mêmes devraient s’interroger  sur l’efficacité réelle de leurs structures bureaucratiques et administratives,  souvent trop coûteuses. Il arrive parfois que celui à qui sont destinées des  aides devienne utile à celui qui l’aide et que les pauvres servent de prétexte  pour faire subsister des organisations bureaucratiques coûteuses qui réservent à  leur propre subsistance des pourcentages trop élevés des ressources qui  devraient au contraire être destinées au développement. Dans cette perspective,  il serait souhaitable que tous les organismes internationaux et les  Organisations non gouvernementales s’engagent à œuvrer dans la pleine  transparence, informant leurs donateurs et l’opinion publique du pourcentage des  fonds reçus destiné aux programmes de coopération, du véritable contenu de ces  programmes, et enfin de la répartition des dépenses de l’institution elle-même.

48.       Le thème du développement est aussi aujourd’hui fortement lié aux  devoirs qu’engendre le rapport de l’homme avec l’environnement naturel. Celui-ci a été donné à tous par Dieu et son usage représente pour nous une  responsabilité à l’égard des pauvres, des générations à venir et de l’humanité  tout entière. Si la nature, et en premier lieu l’être humain, sont considérés  comme le fruit du hasard ou du déterminisme de l’évolution, la conscience de la  responsabilité s’atténue dans les esprits. Dans la nature, le croyant reconnaît  le merveilleux résultat de l’intervention créatrice de Dieu, dont l’homme peut  user pour satisfaire ses besoins légitimes – matériels et immatériels – dans le  respect des équilibres propres à la réalité créée. Si cette vision se perd, l’homme  finit soit par considérer la nature comme une réalité intouchable, soit, au  contraire, par en abuser. Ces deux attitudes ne sont pas conformes à la vision  chrétienne de la nature, fruit de la création de Dieu.

La nature est l’expression d’un dessein d’amour et de vérité. Elle  nous précède et Dieu nous l’a donnée comme milieu de vie. Elle nous parle du  Créateur (cf. Rm 1, 20) et de son amour pour l’humanité. Elle est  destinée à être « récapitulée » dans le Christ à la fin des temps (cf. Ep 1, 9-10; Col 1, 19-20). Elle a donc elle aussi une « vocation » [115]. La nature est à notre  disposition non pas comme « un tas de choses répandues au hasard » [116],  mais au contraire comme un don du Créateur qui en a indiqué les lois  intrinsèques afin que l’homme en tire les orientations nécessaires pour « la  garder et la cultiver » (Gn 2, 15). Toutefois, il faut souligner que  considérer la nature comme plus importante que la personne humaine elle-même est  contraire au véritable développement. Cette position conduit à des attitudes  néo-païennes ou liées à un nouveau panthéisme: le salut de l’homme ne peut pas  dériver de la nature seule, comprise au sens purement naturaliste. Par ailleurs,  la position inverse, qui vise à sa technicisation complète, est également à  rejeter car le milieu naturel n’est pas seulement un matériau dont nous pouvons  disposer à notre guise, mais c’est l’œuvre admirable du Créateur, portant en soi  une « grammaire » qui indique une finalité et des critères pour qu’il  soit utilisé avec sagesse et non pas exploité de manière arbitraire. Aujourd’hui,  de nombreux obstacles au développement proviennent précisément de ces  conceptions erronées. Réduire complètement la nature à un ensemble de données de  fait finit par être source de violence dans les rapports avec l’environnement et  finalement par motiver des actions irrespectueuses envers la nature même de l’homme.  Étant constituée non seulement de matière mais aussi d’esprit et, en tant que  telle, étant riche de significations et de buts transcendants à atteindre,  celle-ci revêt un caractère normatif pour la culture. L’homme interprète et  façonne le milieu naturel par la culture qui, à son tour, est orientée par la  liberté responsable, soucieuse des principes de la loi morale. Les projets en  vue d’un développement humain intégral ne peuvent donc ignorer les générations à  venir, mais ils doivent se fonder sur la solidarité et sur la justice  intergénérationnelles, en tenant compte de multiples aspects: écologique,  juridique, économique, politique, culturel [117].

49.       Aujourd’hui, les questions liées à la protection et à la sauvegarde  de l’environnement doivent prendre en juste considération les problématiques  énergétiques. L’accaparement des ressources énergétiques non renouvelables  par certains États, groupes de pouvoir ou entreprises, constitue, en effet, un  grave obstacle au développement des pays pauvres. Ceux-ci n’ont pas les  ressources économiques nécessaires pour accéder aux sources énergétiques non  renouvelables existantes ni pour financer la recherche de nouvelles sources  substitutives. L’accaparement des ressources naturelles qui, dans de nombreux  cas, se trouvent précisément dans les pays pauvres, engendre l’exploitation et  de fréquents conflits entre nations ou à l’intérieur de celles-ci. Ces conflits  se déroulent souvent sur le territoire même de ces pays, entraînant de lourdes  conséquences: morts, destructions et autres dommages. La communauté  internationale a le devoir impératif de trouver les voies institutionnelles pour  réglementer l’exploitation des ressources non renouvelables, en accord avec les  pays pauvres, afin de planifier ensemble l’avenir.

Sur ce front aussi, apparaît l’urgente nécessité morale d’une solidarité  renouvelée, spécialement dans les relations entre les pays en voie de  développement et les pays hautement industrialisés [118].  Les sociétés technologiquement avancées peuvent et doivent diminuer leur propre  consommation énergétique parce que d’une part, leurs activités manufacturières  évoluent et parce que d’autre part, leurs citoyens sont plus sensibles au  problème écologique. Ajoutons à cela qu’il est possible d’améliorer aujourd’hui  la productivité énergétique et qu’il est possible, en même temps, de faire  progresser la recherche d’énergies substitutives. Toutefois, une redistribution  planétaire des ressources énergétiques est également nécessaire afin que les  pays qui n’en ont pas puissent y accéder. Leur destin ne peut être abandonné aux  mains du premier venu ou à la logique du plus fort. Ce sont des problèmes  importants qui, pour être affrontés de façon efficace, demandent de la part de  tous une prise de conscience responsable des conséquences qui retomberont sur  les nouvelles générations, surtout sur les très nombreux jeunes présents au sein  des peuples pauvres et qui « demandent leur part active dans la construction  d’un monde meilleur » [119].

50.       Cette responsabilité est globale, parce qu’elle ne concerne pas  seulement l’énergie, mais toute la création, que nous ne devons pas transmettre  aux nouvelles générations appauvrie de ses ressources. Il est juste que l’homme  puisse exercer une maîtrise responsable sur la nature pour la protéger,  la mettre en valeur et la cultiver selon des formes nouvelles et avec des  technologies avancées, afin que la terre puisse accueillir dignement et nourrir  la population qui l’habite. Il y a de la place pour tous sur la terre: la  famille humaine tout entière doit y trouver les ressources nécessaires pour  vivre correctement grâce à la nature elle-même, don de Dieu à ses enfants, et  par l’effort de son travail et de sa créativité. Nous devons cependant avoir  conscience du grave devoir que nous avons de laisser la terre aux nouvelles  générations dans un état tel qu’elles puissent elles aussi l’habiter décemment  et continuer à la cultiver. Cela implique de s’engager à prendre ensemble des  décisions, « après avoir examiné de façon responsable la route à suivre, en vue  de renforcer l’alliance entre l’être humain et l’environnement, qui doit  être le reflet de l’amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous  allons » [120].  Il est souhaitable que la communauté internationale et chaque gouvernement  sachent contrecarrer efficacement les modalités d’exploitation de  l’environnement qui s’avèrent néfastes. Il est par ailleurs impératif que les  autorités compétentes entreprennent tous les efforts nécessaires afin que les  coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles  communes soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés  par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les  générations futures: la protection de l’environnement, des ressources et du  climat demande que tous les responsables internationaux agissent ensemble et  démontrent leur résolution à travailler honnêtement, dans le respect de la loi  et de la solidarité à l’égard des régions les plus faibles de la planète [121].  L’une des plus importantes tâches de l’économie est précisément l’utilisation la  plus efficace des ressources, et non leur abus, sans jamais oublier que la  notion d’efficacité n’est pas axiologiquement neutre.

51.       La façon dont l’homme traite l’environnement influence les  modalités avec lesquelles il se traite lui-même et réciproquement. C’est  pourquoi la société actuelle doit réellement reconsidérer son style de vie qui,  en de nombreuses régions du monde, est porté à l’hédonisme et au consumérisme,  demeurant indifférente aux dommages qui en découlent [122].  Un véritable changement de mentalité est nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux styles de vie « dans lesquels les éléments qui déterminent les  choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du  vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une  croissance commune » [123].  Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des dommages à  l’environnement, de même que la détérioration de l’environnement, à son tour,  provoque l’insatisfaction dans les relations sociales. À notre époque en  particulier, la nature est tellement intégrée dans les dynamiques sociales et  culturelles qu’elle ne constitue presque plus une donnée indépendante. La  désertification et la baisse de la productivité de certaines régions agricoles  sont aussi le fruit de l’appauvrissement et du retard des populations qui y  habitent. En stimulant le développement économique et culturel de ces  populations, on protège aussi la nature. En outre, combien de ressources  naturelles sont dévastées par les guerres! La paix des peuples et entre les  peuples permettrait aussi une meilleure sauvegarde de la nature. L’accaparement  des ressources, spécialement de l’eau, peut provoquer de graves conflits  parmi les populations concernées. Un accord pacifique sur l’utilisation des  ressources peut préserver la nature et, en même temps, le bien-être des sociétés  intéressées.

L’Église a une responsabilité envers la création et doit la faire  valoir publiquement aussi. Ce faisant, elle doit préserver non seulement la  terre, l’eau et l’air comme dons de la création appartenant à tous, elle doit surtout protéger l’homme de sa propre destruction. Une sorte d’écologie de  l’homme, comprise de manière juste, est nécessaire. La dégradation de  l’environnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la  communauté humaine: quand l’« écologie humaine » [124] est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage.  De même que les vertus humaines sont connexes, si bien que l’affaiblissement de  l’une met en danger les autres, ainsi le système écologique s’appuie sur le  respect d’un projet qui concerne aussi bien la saine coexistence dans la société  que le bon rapport avec la nature.

Pour préserver la nature, il n’est pas suffisant d’intervenir au moyen  d’incitations ou de mesures économiques dissuasives, une éducation appropriée  n’y suffit pas non plus. Ce sont là des outils importants, mais le point  déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble. Si le droit  à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la  gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles, si des embryons  humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre  le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale.  Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une  contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter  elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de  l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des  relations sociales, en un mot du développement humain intégral. Les devoirs que  nous avons vis-à-vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons  envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres.  On ne peut exiger les uns et piétiner les autres. C’est là une grave antinomie  de la mentalité et de la praxis actuelle qui avilit la personne, bouleverse  l’environnement et détériore la société.

52.       La vérité et l’amour que celle-ci fait entrevoir ne peuvent être  fabriqués. Ils peuvent seulement être accueillis. Leur source ultime n’est pas,  ni ne peut être, l’homme, mais Dieu, c’est-à-dire Celui qui est Vérité et Amour.  Ce principe est très important pour la société et pour le développement, car ni l’une ni l’autre ne peuvent être produits seulement par l’homme. La  vocation elle-même des personnes et des peuples au développement ne se fonde pas  sur une simple décision humaine, mais elle est inscrite dans un dessein qui nous  précède et qui constitue pour chacun de nous un devoir à accueillir librement.  Ce qui nous précède et qui nous constitue – l’Amour et la Vérité subsistants –  nous indique ce qu’est le bien et en quoi consiste notre bonheur. Il nous  montre donc la route qui conduit au véritable développement.

 

 

CHAPITRE  V

LA  COLLABORATION DE  LA  FAMILLE  HUMAINE

53.       Une des pauvretés les plus profondes que l’homme puisse  expérimenter est la solitude. Tout bien considéré, les autres formes de  pauvreté, y compris les pauvretés matérielles, naissent de l’isolement, du fait  de ne pas être aimé ou de la difficulté d’aimer. Les pauvretés sont souvent la  conséquence du refus de l’amour de Dieu, d’une fermeture originelle tragique de  l’homme en lui-même, qui pense se suffire à lui-même, ou bien considère  qu'il n'est  qu’un simple fait insignifiant et éphémère, un « étranger » dans un univers qui  s’est constitué par hasard. L’homme est aliéné quand il est seul ou quand il se  détache de la réalité, quand il renonce à penser et à croire en un Fondement [125].  L’humanité tout entière est aliénée quand elle met sa confiance en des projets  purement humains, en des idéologies et en de fausses utopies [126].  De nos jours, l’humanité apparaît beaucoup plus interactive qu’autrefois: cette  plus grande proximité doit se transformer en une communion véritable. Le  développement des peuples dépend surtout de la reconnaissance du fait que nous  formons une seule famille qui collabore dans une communion véritable et qui  est constituée de sujets qui ne vivent pas simplement les uns à côté des autres [127].

Paul VI remarquait que « le monde est en malaise faute  de pensée » [128].  Cette affirmation renferme une constatation, mais surtout un souhait: il faut  qu’il y ait un renouveau de la pensée pour mieux comprendre ce qu’implique le  fait que nous formons une famille; les échanges entre les peuples de la planète  exigent un tel renouveau, afin que l’intégration puisse se réaliser sous le signe  de la solidarité [129] plutôt que de la marginalisation. Une telle pensée nous oblige à approfondir  de manière critique et sur le plan des valeurs la catégorie de la relation. Un tel effort ne peut être mené par les seules sciences sociales, car il  requiert l’apport de savoirs tels que la métaphysique et la théologie, pour  comprendre de façon éclairée la dignité transcendante de l’homme.

La créature humaine, qui est de nature spirituelle, se réalise dans les  relations interpersonnelles. Plus elle les vit de manière authentique, plus son  identité personnelle mûrit également. Ce n’est pas en s’isolant que l’homme se  valorise lui-même, mais en se mettant en relation avec les autres et avec Dieu.  L’importance de ces relations devient alors fondamentale. Cela vaut aussi pour  les peuples. Pour leur développement, une vision métaphysique de la relation  entre les personnes est donc très utile. A cet égard, la raison trouve une  inspiration et une orientation dans la révélation chrétienne, selon laquelle la  communauté des hommes n’absorbe pas en soi la personne, anéantissant son  autonomie, comme cela se produit dans les diverses formes de totalitarisme, mais  elle la valorise encore davantage car le rapport entre individu et communauté  est celui d’un tout vers un autre tout [130].  Tout comme la communauté familiale n’abolit pas en elle les personnes qui la  composent et comme l’Église elle-même valorise pleinement la ‘créature nouvelle’  (cf. Ga 6, 15; 2 Co 5, 17) qui, par le baptême, s’insère dans son  Corps vivant, de la même manière l’unité de la famille humaine n’abolit pas en  elle les personnes, les peuples et les cultures, mais elle les rend plus  transparents les uns aux autres, plus unis dans leurs légitimes diversités.

54.       Le thème du développement coïncide avec celui de l’inclusion  relationnelle de toutes les personnes et de tous les peuples dans l’unique  communauté de la famille humaine qui se construit dans la solidarité sur la base  des valeurs fondamentales de la justice et de la paix. Cette perspective est  éclairée de manière décisive par la relation entre les trois Personnes de la  Sainte Trinité dans leur unique Substance divine. La Trinité est unité absolue,  car les trois Personnes divines sont relationnalité pure. La transparence  réciproque entre les Personnes divines est complète et le lien entre l’une et  l’autre est total, parce qu’elles constituent une unité et unicité absolue. Dieu  veut nous associer nous aussi à cette réalité de communion: « pour qu’ils soient  un comme nous sommes un » (Jn 17, 22). L’Église est signe et instrument  de cette unité [131].  Les relations entre les hommes tout au long de l’histoire ne peuvent que tirer  avantage de cette référence au divin Modèle. À la lumière de la révélation du  mystère de la Trinité, on comprend en particulier que l’ouverture  authentique n’implique pas une dispersion centrifuge, mais une compénétration  profonde. C’est ce qui apparaît aussi à travers les expériences humaines  communes de l’amour et de la vérité. De même que l’amour sacramentel entre les  époux les unit spirituellement en « une seule chair » (Gn 2, 24; Mt 19, 5; Ep 5, 31) et de deux qu’ils étaient en fait une unité  relationnelle réelle, de manière analogue, la vérité unit les esprits entre eux  et les fait penser à l’unisson, en les attirant et en les unissant en elle.

55.       La révélation chrétienne de l’unité du genre humain présuppose une interprétation métaphysique de l’ humanum où la relation est un  élément essentiel. D’autres cultures et d’autres religions enseignent elles  aussi la fraternité et la paix, et présentent donc une grande importance pour le  développement humain intégral. Il n’est pas rare cependant que des attitudes  religieuses ou culturelles ne prennent pas pleinement en compte le principe de  l’amour et de la vérité; elles constituent alors un frein au véritable  développement humain et même un empêchement. Le monde d’aujourd’hui est pénétré  par certaines cultures, dont le fond est religieux, qui n’engagent pas l’homme à  la communion, mais l’isolent dans la recherche du bien-être individuel, se  limitant à satisfaire ses attentes psychologiques. Une certaine prolifération  d’itinéraires religieux suivis par de petits groupes ou même par des personnes  individuelles, ainsi que le syncrétisme religieux peuvent être des facteurs de  dispersion et de désengagement. La tendance à favoriser un tel syncrétisme est  un effet négatif possible du processus de mondialisation [132],  lorsqu’il alimente des formes de « religion » qui rendent les personnes  étrangères les unes aux autres au lieu de favoriser leur rencontre et qui les  éloignent de la réalité. Dans le même temps, subsistent parfois des héritages  culturels et religieux qui figent la société en castes sociales immuables, dans  des croyances magiques qui ne respectent pas la dignité de la personne, dans des  attitudes de sujétion à des forces occultes. Dans de tels contextes, l’amour et  la vérité peuvent difficilement s’affirmer, non sans préjudice pour le  développement authentique.

C’est pourquoi, s’il est vrai, d’une part, que le développement a besoin des  religions et des cultures des différents peuples, il n’en reste pas moins vrai,  d’autre part, qu’opérer un discernement approprié est nécessaire. La liberté  religieuse ne veut pas dire indifférence religieuse et elle n’implique pas que  toutes les religions soient équivalentes [133].  Un discernement concernant la contribution que peuvent apporter les cultures et  les religions en vue d’édifier la communauté sociale dans le respect du bien  commun s’avère nécessaire, en particulier de la part de ceux qui exercent le  pouvoir politique. Un tel discernement devra se fonder sur le critère de la  charité et de la vérité. Et puisque est en jeu le développement des personnes et  des peuples, il devra tenir compte de la possibilité d’émancipation et  d’intégration dans la perspective d’une communauté humaine vraiment universelle.  « Tout l’homme et tous les hommes », c’est un critère qui permet d’évaluer aussi  les cultures et les religions. Le Christianisme, religion du « Dieu qui possède  un visage humain » [134] porte en lui un tel critère.

56.       La religion chrétienne et les autres religions ne peuvent apporter  leur contribution au développement que si Dieu a aussi sa place dans la  sphère publique, et cela concerne les dimensions culturelle, sociale,  économique et particulièrement politique. La doctrine sociale de l’Église est  née pour revendiquer ce « droit de cité» [135] de la religion chrétienne. La négation du droit de professer publiquement sa  religion et d’œuvrer pour que les vérités de la foi inspirent aussi la vie  publique a des conséquences négatives sur le développement véritable.  L’exclusion de la religion du domaine public, comme, par ailleurs, le  fondamentalisme religieux, empêchent la rencontre entre les personnes et leur  collaboration en vue du progrès de l’humanité. La vie publique s’appauvrit et la  politique devient opprimante et agressive. Les droits humains risquent de ne pas  être respectés soit parce qu’ils sont privés de leur fondement transcendant soit  parce que la liberté personnelle n’est pas reconnue. Dans le laïcisme et dans le  fondamentalisme, la possibilité d’un dialogue fécond et d’une collaboration  efficace entre la raison et la foi religieuse s’évanouit. La raison a  toujours besoin d’être purifiée par la foi, et ceci vaut également pour la  raison politique, qui ne doit pas se croire toute puissante. A son tour, la  religion a toujours besoin d’être purifiée par la raison afin qu’apparaisse  son visage humain authentique. La rupture de ce dialogue a un prix très lourd au  regard du développement de l’humanité.

57.       Le dialogue fécond entre foi et raison ne peut que rendre plus  efficace l’œuvre de la charité dans le champ social et constitue le cadre le  plus approprié pour encourager la collaboration fraternelle entre croyants et  non-croyants dans leur commune intention de travailler pour la justice et  pour la paix de l’humanité. Dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes,  les Pères du  Concile affirmaient: « Croyants et incroyants sont généralement  d’accord sur ce point: tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son  centre et à son sommet » [136].  Pour les croyants, le monde n’est le fruit ni du hasard ni de la nécessité, mais  celui d’un projet de Dieu. De là naît pour les croyants le devoir d’unir leurs  efforts à ceux de tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté  appartenant à d’autres religions ou non croyants, afin que notre monde soit  effectivement conforme au projet divin: celui de vivre comme une famille sous le  regard du Créateur. Le principe de subsidiarité [137],  expression de l’inaliénable liberté humaine, est, à cet égard, une manifestation  particulière de la charité et un guide éclairant pour la collaboration  fraternelle entre croyants et non croyants. La subsidiarité est avant tout une  aide à la personne, à travers l’autonomie des corps intermédiaires. Cette aide  est proposée lorsque la personne et les acteurs sociaux ne réussissent pas à  faire par eux-mêmes ce qui leur incombe et elle implique toujours que l’on ait  une visée émancipatrice qui favorise la liberté et la participation en tant que  responsabilisation. La subsidiarité respecte la dignité de la personne en qui  elle voit un sujet toujours capable de donner quelque chose aux autres. En  reconnaissant que la réciprocité fonde la constitution intime de l’être humain,  la subsidiarité est l’antidote le plus efficace contre toute forme d’assistance  paternaliste. Elle peut rendre compte aussi bien des multiples articulations  entre les divers plans et donc de la pluralité des acteurs, que de leur  coordination. Il s’agit donc d’un principe particulièrement apte à gouverner la  mondialisation et à l’orienter vers un véritable développement humain. Pour ne  pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la  « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire,  articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux.  La mondialisation réclame certainement une autorité, puisque est en jeu le  problème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble; cependant cette autorité  devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique [138] pour, d’une part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d’autre part, être concrètement efficace.

58.       Le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au  principe de solidarité et vice-versa, car si la subsidiarité sans la  solidarité tombe dans le particularisme, il est également vrai que la solidarité  sans la subsidiarité tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le  besoin. Cette règle de caractère général doit être prise sérieusement en  considération notamment quand il s’agit d’affronter des questions relatives aux aides internationales pour le développement. Malgré l’intention des  donateurs, celles-ci peuvent parfois maintenir un peuple dans un état de  dépendance et même aller jusqu’à favoriser des situations de domination locale  et d’exploitation dans le pays qui reçoit cette aide. Les aides économiques,  pour être vraiment telles, ne doivent pas poursuivre des buts secondaires. Elles  doivent être accordées en collaboration non seulement avec les gouvernements des  pays intéressés, mais aussi avec les acteurs économiques locaux et les acteurs  de la société civile qui sont porteurs de culture, y compris les Églises  locales. Les programmes d’aide doivent prendre de plus en plus les  caractéristiques de programmes intégrés soutenus par la base. Rappelons que la  plus grande ressource à mettre en valeur dans les pays qui ont besoin d’aide au  développement, est la ressource humaine: c’est là le véritable capital qu’il  faut faire grandir afin d’assurer aux pays les plus pauvres un avenir autonome  effectif. Il convient aussi de rappeler que, dans le domaine économique, l’aide  primordiale dont les pays en voie de développement ont besoin est de permettre  et de favoriser l’introduction progressive de leurs produits sur les marchés  internationaux, rendant ainsi possible leur pleine participation à la vie  économique internationale. Trop souvent, par le passé, les aides n’ont servi  qu’à créer des marchés marginaux pour les produits de ces pays. Cela est souvent  dû à l’absence d’une véritable demande pour ces produits: il est donc nécessaire  d’aider ces pays à améliorer leurs produits et à mieux les adapter à la demande.  Il faut souligner encore que nombreux sont ceux qui ont longtemps craint la  concurrence des importations de produits, en général agricoles, provenant des  pays économiquement pauvres. Il ne faut cependant pas oublier que pour ces pays,  la possibilité de commercialiser ces produits signifie souvent assurer leur  survie à court et à long terme. Un commerce international juste et équilibré  dans le domaine agricole peut être profitable à tous, aussi bien du côté de  l’offre que de celui de la demande. C’est pourquoi, il est nécessaire, non  seulement, d’orienter ces productions sur le plan commercial, mais aussi  d’établir des règles commerciales internationales qui les soutiennent, tout en  renforçant le financement des aides au développement pour rendre ces économies  plus productives.

59.       La coopération au développement ne doit pas prendre en  considération la seule dimension économique; elle doit devenir une grande occasion de rencontre culturelle et humaine. Si les acteurs de la  coopération des pays économiquement développés ne prennent pas en compte leur  propre identité culturelle, comme cela arrive parfois, ni celle des autres et  des valeurs humaines qui y sont liées, ils ne peuvent pas instaurer un dialogue  profond avec les citoyens des pays pauvres. Si, à leur tour, ces derniers  s’ouvrent, indifféremment et sans discernement, à n’importe quelle proposition  culturelle, ils ne sont plus en mesure d’assumer la responsabilité de leur  développement authentique [139].  Les sociétés technologiquement avancées ne doivent pas confondre leur propre  développement technologique avec une prétendue supériorité culturelle, mais  elles doivent redécouvrir en elles-mêmes les vertus, parfois oubliées, qui les  ont fait progresser tout au long de leur histoire. Les sociétés en voie de  développement doivent rester fidèles à tout ce qui est authentiquement humain  dans leurs traditions, en évitant d’y superposer automatiquement les mécanismes  de la civilisation technologique mondiale. De multiples et singulières  convergences éthiques se trouvent dans toutes les cultures ; elles sont  l’expression de la même nature humaine, voulue par le Créateur et que la sagesse  éthique de l’humanité appelle la loi naturelle [140].  Cette loi morale universelle est le fondement solide de tout dialogue culturel,  religieux et politique et elle permet au pluralisme multiforme des diverses  cultures de ne pas se détacher de la recherche commune du vrai, du bien et de  Dieu. L’adhésion à cette loi inscrite dans les cœurs, est donc le présupposé de  toute collaboration sociale constructive. Toutes les cultures ont des pesanteurs  dont elles doivent se libérer, des ombres auxquelles elles doivent se  soustraire. La foi chrétienne, qui s’incarne dans les cultures en les  transcendant, peut les aider à grandir dans la convivialité et dans la  solidarité universelles au bénéfice du développement communautaire et  planétaire.

60.       Dans la recherche de solutions à la crise économique actuelle, l’aide au développement des pays pauvres doit être considérée comme un véritable  instrument de création de richesse pour tous. Quel projet d’aide peut  prévoir une croissance de valeur aussi significative – y compris de l’économie  mondiale – comme peut le faire le soutien aux populations qui se trouvent encore  à une phase initiale ou peu avancée de leur processus de développement  économique ? Dans cette perspective, les États économiquement plus développés  feront tout leur possible pour destiner aux aides au développement un  pourcentage plus important de leur produit intérieur brut, en respectant les  engagements pris dans ce domaine au niveau de la communauté internationale. Ils  pourront le faire aussi en révisant leurs politiques intérieures d’assistance et  de solidarité sociale, y appliquant le principe de subsidiarité et créant des  systèmes de protection sociale mieux intégrés, qui favorisent une participation  active des personnes privées et de la société civile. De cette manière, il est  même possible d’améliorer les services sociaux et les organismes d’assistance  et, en même temps, d’épargner des ressources en éliminant le gaspillage et les  indemnités abusives, qui pourraient être destinées à la solidarité  internationale. Un système de solidarité sociale plus largement participatif et  mieux organisé, moins bureaucratique sans être pour autant moins coordonné,  permettrait de valoriser de nombreuses énergies, actuellement en sommeil, et  tournerait à l’avantage de la solidarité entre les peuples.

Une possibilité d’aide au développement pourrait résider dans l’application  efficace de ce qu’on appelle communément la subsidiarité fiscale, qui  permettrait aux citoyens de décider de la destination d’une part de leurs impôts  versés à l’État. En ayant soin d’éviter toute dégénération dans le  particularisme, cela peut aider à encourager des formes de solidarité sociale à  partir des citoyens eux-mêmes, avec des bénéfices évidents sur le plan de la solidarité pour le développement.

61.       Une solidarité plus large au niveau international s’exprime avant  tout en continuant à promouvoir, même dans des situations de crise économique, un meilleur accès à l’éducation, qui est, par ailleurs, la condition  essentielle pour que la coopération internationale elle-même soit efficace. Le  terme « éducation » ne renvoie pas seulement à l’instruction ou à la formation  professionnelle, toutes deux essentielles pour le développement, mais à la  formation complète de la personne. A ce propos, il convient de souligner un  aspect problématique: pour éduquer il faut savoir qui est la personne humaine,  en connaître la nature. Une vision relativiste de cette nature qui tend à  s’affirmer de plus en plus pose de sérieux problèmes pour l’éducation, et en  particulier pour l’éducation morale, car elle en compromet l’extension au niveau  universel. Si l’on cède à un tel relativisme, tous deviennent plus pauvres et  cela n’est pas sans conséquences négatives sur l’efficacité même des aides en  faveur des populations démunies, qui n’ont pas que des nécessités économiques ou  techniques mais qui ont aussi besoin de voies et de moyens pédagogiques qui  puissent soutenir les personnes en vue de leur plein épanouissement humain.

Un exemple de l’importance de ce problème nous est offert par le phénomène du tourisme international  [141] qui peut constituer un facteur notable de développement économique et de  croissance culturelle, mais qui peut aussi se transformer en occasion  d’exploitation et de déchéance morale. La situation actuelle offre des  opportunités uniques pour que les aspects économiques du développement,  c’est-à-dire les mouvements de fonds et la création au niveau local  d’entreprises d’importance significative, arrivent à être associés aux aspects  culturels, au nombre desquels l’aspect éducatif figure en premier lieu. Cela se  réalise en de nombreux cas, mais en bien d’autres le tourisme international est  un facteur contre-éducatif aussi bien pour le touriste que pour les populations  locales. Ces dernières sont souvent confrontées à des comportements immoraux ou  même pervers, comme c’est le cas du tourisme dit sexuel, pour lequel tant  d’êtres humains sont sacrifiés, même à un jeune âge. Il est douloureux de  constater que cela se produit souvent avec l’aval des gouvernements locaux, avec  le silence de ceux d’où proviennent les touristes et avec la complicité de  nombreux opérateurs de ce secteur. Même si l’on n’atteint pas toujours de tels  excès, le tourisme international est vécu, bien souvent, dans un esprit de  consommation et de manière hédoniste; il est vu comme une évasion, avec des  modes d’organisation spécifiques aux pays de provenance, de sorte qu’il ne  favorise en rien une rencontre véritable entre personnes et cultures. Il  convient alors d’imaginer un tourisme différent, capable de promouvoir une vraie  connaissance réciproque, sans enlever les espaces nécessaires au repos et à un  sain divertissement: un tourisme de ce type doit être développé, en favorisant  des liens plus étroits entre les expériences de coopération internationale et  celles d’entreprises pour le développement.

62.       Le phénomène des migrations est un autre aspect qui mérite  attention quand on parle de développement humain intégral. C’est un phénomène  qui impressionne en raison du nombre de personnes qu’il concerne, des  problématiques sociale, économique, politique, culturelle et religieuse qu’il  soulève, et à cause des défis dramatiques qu’il lance aux communautés nationales  et à la communauté internationale. Nous pouvons dire que nous nous trouvons face  à un phénomène social caractéristique de notre époque, qui requiert une  politique de coopération internationale forte et perspicace sur le long terme  afin d’être pris en compte de manière adéquate. Une telle politique doit être  développée en partant d’une étroite collaboration entre les pays d’origine des  migrants et les pays où ils se rendent; elle doit s’accompagner de normes  internationales adéquates, capables d’harmoniser les divers ordres législatifs,  dans le but de sauvegarder les exigences et les droits des personnes et des  familles émigrées et, en même temps, ceux des sociétés où arrivent ces mêmes  émigrés. Aucun pays ne peut penser être en mesure de faire face seul aux  problèmes migratoires de notre temps. Nous sommes tous témoins du poids de  souffrances, de malaise et d’aspirations qui accompagne les flux migratoires. La  gestion de ce phénomène est complexe, nous le savons tous; il s’avère toutefois  que les travailleurs étrangers, malgré les difficultés liées à leur intégration,  apportent par leur travail, une contribution appréciable au développement  économique du pays qui les accueille, mais aussi à leur pays d’origine par leurs  envois d’argent. Il est évident que ces travailleurs ne doivent pas être  considérés comme une marchandise ou simplement comme une force de travail. Ils  ne doivent donc pas être traités comme n’importe quel autre facteur de  production. Tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle,  possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous  et en toute circonstance [142].

63.       En considérant les problèmes du développement, on ne peut omettre  de souligner le lien étroit existant entre pauvreté et chômage. Dans de  nombreux cas, la pauvreté est le résultat de la violation de la dignité du  travail humain, soit parce que les possibilités de travail sont limitées  (chômage ou sous-emploi), soit parce qu’on mésestime « les droits qui en  proviennent, spécialement le droit au juste salaire, à la sécurité de la  personne du travailleur et de sa famille » [143].  C’est pourquoi, le 1er mai 2000, mon Prédécesseur de vénérée mémoire,  Jean-Paul II, lançait un appel à l’occasion du Jubilé des Travailleurs pour  « une coalition mondiale en faveur du travail digne » [144],  en encourageant la stratégie de l’Organisation Internationale du Travail. De  cette manière, il donnait une forte réponse morale à cet objectif auquel  aspirent les familles dans tous les pays du monde. Que veut dire le mot  « digne » lorsqu’il est appliqué au travail? Il signifie un travail qui, dans  chaque société, soit l’expression de la dignité essentielle de tout homme et de  toute femme: un travail choisi librement, qui associe efficacement les  travailleurs, hommes et femmes, au développement de leur communauté; un travail  qui, de cette manière, permette aux travailleurs d’être respectés sans aucune  discrimination; un travail qui donne les moyens de pourvoir aux nécessités de la  famille et de scolariser les enfants, sans que ceux-ci ne soient eux-mêmes  obligés de travailler; un travail qui permette aux travailleurs de s’organiser  librement et de faire entendre leur voix; un travail qui laisse un temps  suffisant pour retrouver ses propres racines au niveau personnel, familial et  spirituel; un travail qui assure aux travailleurs parvenus à l’âge de la  retraite des conditions de vie dignes.

64.       En réfléchissant sur le thème du travail, il est opportun d’évoquer  l’exigence urgente que les organisations syndicales des travailleurs, qui  ont toujours été encouragées et soutenues par l’Église, s’ouvrent aux nouvelles  perspectives qui émergent dans le domaine du travail. Dépassant les limites  propres des syndicats catégoriels, les organisations syndicales sont appelées à  affronter les nouveaux problèmes de nos sociétés: je pense, par exemple, à  l’ensemble des questions que les spécialistes en sciences sociales repèrent dans  les conflits entre individu-travailleur et individu-consommateur. Sans  nécessairement épouser la thèse selon laquelle on est passé de la position  centrale du travailleur à celle du consommateur, il semble toutefois que cela  soit un terrain favorable à des expériences syndicales novatrices. Le contexte  d’ensemble dans lequel se déroule le travail requiert lui aussi que les  organisations syndicales nationales, qui se limitent surtout à la défense des  intérêts de leurs propres adhérents, se tournent vers ceux qui ne le sont pas  et, en particulier, vers les travailleurs des pays en voie de développement où  les droits sociaux sont souvent violés. La défense de ces travailleurs, promue  aussi à travers des initiatives opportunes envers les pays d’origine, permettra  aux organisations syndicales de mettre en évidence les authentiques raisons  éthiques et culturelles qui leur ont permis, dans des contextes sociaux et de  travail différents, d’être un facteur décisif du développement. L’enseignement  traditionnel de l’Église reste toujours valable lorsqu’il propose la distinction  des rôles et des fonctions du syndicat et de la politique. Cette distinction  permettra aux organisations syndicales de déterminer dans la société civile le  domaine qui sera le plus approprié à leur action nécessaire pour la défense et  la promotion du monde du travail, surtout en faveur des travailleurs exploités  et non représentés, dont l’amère condition demeure souvent ignorée par les yeux  distraits de la société.

65.       Il faut enfin que la finance en tant que telle, avec ses  structures et ses modalités de fonctionnement nécessairement renouvelées après  le mauvais usage qui en a été fait et qui a eu des conséquences néfastes sur  l’économie réelle, redevienne un instrument visant à une meilleure production  de richesses et au développement. Toute l’économie et toute la finance, et  pas seulement quelques-uns de leurs secteurs, doivent, en tant qu’instruments,  être utilisés de manière éthique afin de créer les conditions favorables pour le  développement de l’homme et des peuples. Il est certainement utile, et en  certaines circonstances indispensable, de donner vie à des initiatives  financières où la dimension humanitaire soit dominante. Mais cela ne doit pas  faire oublier que le système financier tout entier doit être orienté vers le  soutien d’un développement véritable. Il faut surtout que l’objectif de faire le  bien ne soit pas opposé à celui de la capacité effective à produire des biens.  Les opérateurs financiers doivent redécouvrir le fondement véritablement éthique  de leur activité afin de ne pas faire un usage abusif de ces instruments  sophistiqués qui peuvent servir à tromper les épargnants. L’intention droite, la  transparence et la recherche de bons résultats sont compatibles et ne doivent  jamais être séparés. Si l’amour est intelligent, il sait trouver même les moyens  de faire des opérations qui permettent une juste et prévoyante rétribution,  comme le montrent, de manière significative, de nombreuses expériences dans le  domaine du crédit coopératif.

Une réglementation de ce secteur qui vise à protéger les sujets les plus  faibles et à empêcher des spéculations scandaleuses, tout comme  l’expérimentation de formes nouvelles de finance destinées à favoriser des  projets de développement sont des expériences positives qu’il faut approfondir  et encourager, en faisant appel à la responsabilité même de l’épargnant.  L’expérience de la microfinance elle aussi, qui s’enracine dans la  réflexion et dans l’action de citoyens humanistes – je pense surtout à la  création des Monts de Piété –, doit être renforcée et actualisée, surtout en ces  temps où les problèmes financiers peuvent devenir dramatiques pour les couches  les plus vulnérables de la population qu’il faut protéger contre les risques du  prêt usuraire ou du désespoir. Il faut que les sujets les plus faibles  apprennent à se défendre des pratiques usuraires, tout comme il faut que les  peuples pauvres apprennent à tirer profit du microcrédit, décourageant de cette  manière les formes d’exploitation possibles en ces deux domaines. Puisqu’il  existe également de nouvelles formes de pauvreté dans les pays riches, la  microfinance peut apporter des aides concrètes pour la création d’initiatives et  de secteurs nouveaux en faveur des franges les plus fragiles de la société, même  en une période d’appauvrissement possible de l’ensemble de la société.

66.       L’interconnexion mondiale a fait surgir un nouveau pouvoir  politique, celui des consommateurs et de leurs associations. C’est  un phénomène sur lequel il faut approfondir la réflexion: il comporte des  éléments positifs qu’il convient d’encourager et aussi des excès à éviter. Il  est bon que les personnes se rendent compte qu’acheter est non seulement un acte  économique mais toujours aussi un acte moral. Le consommateur a donc une  responsabilité sociale précise qui va de pair avec la responsabilité sociale  de l’entreprise. Les consommateurs doivent être éduqués en permanence [145] sur le rôle qu’ils jouent chaque jour et qu’ils peuvent exercer dans le respect  des principes moraux, sans diminuer la rationalité économique intrinsèque de  l’acte d’acheter. Dans ce domaine des achats aussi, surtout en des moments comme  ceux que nous vivons, où le pouvoir d’achat risque de s’affaiblir et où il faudra  consommer de manière plus sobre, il est opportun d’ouvrir d’autres voies, comme  par exemple des formes de coopération à l’achat, telles que les coopératives de  consommation, créées à partir du XIXe siècle grâce notamment à  l’initiative des catholiques. Il est en outre utile de favoriser de nouvelles  formes de commercialisation des produits en provenance des régions pauvres de la  planète afin d’assurer aux producteurs une rétribution décente, à condition  toutefois que le marché soit vraiment transparent, que les producteurs ne  reçoivent pas seulement des marges bénéficiaires supérieures mais aussi une  meilleure formation, une compétence professionnelle et technologique et qu’enfin  des idéologies partisanes ne soient pas associées à de telles expériences  d’économie pour le développement. Il est souhaitable que, comme facteur de  démocratie économique, les consommateurs aient un rôle plus décisif, à condition  qu’ils ne soient pas eux-mêmes manipulés par des associations peu  représentatives.

67.       Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale,  et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale,  l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle  de l’architecture économique et financière internationale en vue de  donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large  écho. On ressent également fortement l’urgence de trouver des formes innovantes  pour concrétiser le principe de la responsabilité de protéger  [146] et pour accorder aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les  décisions communes. Cela est d’autant plus nécessaire pour la recherche d’un  ordre politique, juridique et économique, susceptible d’accroître et d’orienter  la collaboration internationale vers le développement solidaire de tous les  peuples. Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les  économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands  déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver  à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de  l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit  mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a  déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux  Jean XXIII. Une telle  Autorité devra être réglée par le droit, se conformer de manière cohérente aux  principes de subsidiarité et de solidarité, être ordonnée à la réalisation du  bien commun [147], s’engager pour la promotion d’un authentique développement humain intégral  qui s’inspire des valeurs de l’amour et de la vérité. Cette Autorité devra  en outre être reconnue par tous, jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à  chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits [148].  Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par  les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les  divers forums internationaux. En l’absence de ces conditions, le droit  international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines,  risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir entre les  plus puissants. Le développement intégral des peuples et la collaboration  internationale exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à  l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la  mondialisation [149] et que soit finalement mis en place un ordre social conforme à l’ordre moral et  au lien entre les sphères morale et sociale, entre le politique et la sphère  économique et civile que prévoyait déjà le Statut des Nations Unies.

 

 

CHAPITRE  VI

LE  DÉVELOPPEMENT  DES  PEUPLES ET  LA  TECHNIQUE

68.       Le thème du développement des peuples est intimement lié à celui du  développement de chaque homme. Par nature, la personne humaine est en tension  dynamique vers son développement. Il ne s’agit pas d’un développement assuré par  des mécanismes naturels, car chacun de nous se sait capable de faire des choix  libres et responsables. Il ne s’agit pas non plus d’un développement livré à  notre fantaisie, puisque nous savons tous que nous sommes  donnés à nous-mêmes, sans être le résultat d’un auto-engendrement. En nous, la  liberté humaine est, dès l’origine, caractérisée par notre être et par ses  limites. Personne ne modèle arbitrairement sa conscience, mais tous construisent  leur propre « moi » sur la base d’un « soi » qui nous a été donné. Non seulement  nous ne pouvons pas disposer des autres, mais nous ne pouvons pas davantage  disposer de nous-mêmes. Le développement de la personne s’étiole, si elle  prétend en être l’unique auteur. Analogiquement, le développement des  peuples se dénature, si l’humanité croit pouvoir se recréer en s’appuyant sur  les “prodiges” de la technologie. De même, le développement économique s’avère  factice et nuisible, s’il s’en remet aux “prodiges” de la finance pour soutenir  une croissance artificielle liée à une consommation excessive. Face à cette  prétention prométhéenne, nous devons manifester un amour plus fort pour une  liberté qui ne soit pas arbitraire, mais vraiment humanisée par la  reconnaissance du bien qui la précède. Dans ce but, il faut que l’homme rentre  en lui-même pour reconnaître les normes fondamentales de la loi morale que Dieu  a inscrite dans son cœur.

69.        Le problème du développement est aujourd’hui très étroitement lié  au progrès technologique et à ses stupéfiantes applications dans  le domaine de la biologie. La technique – il est bon de le souligner – est une  réalité profondément humaine, liée à l’autonomie et à la liberté de l’homme.  Elle exprime et affirme avec force la maîtrise de l’esprit sur la matière.  L’esprit, rendu ainsi « moins esclave des choses, peut facilement s’élever  jusqu’à l’adoration et à la contemplation du Créateur” » [150].  La technique permet de dominer la matière, de réduire les risques, d’économiser  ses forces et d’améliorer les conditions de vie. Elle répond à la vocation même  du travail humain: par la technique, œuvre de son génie, l’homme reconnaît ce  qu’il est et accomplit son humanité. La technique est l’aspect objectif de  l’agir humain [151],  dont l’origine et la raison d’être résident dans l’élément subjectif: l’homme  qui travaille. C’est pourquoi la technique n’est jamais purement technique. Elle  manifeste l’homme et ses aspirations au développement, elle exprime la tendance  de l’esprit humain au dépassement progressif de certains conditionnements  matériels. La technique s’inscrit donc dans la mission de cultiver et  de garder la terre (cf. Gn 2, 15) que Dieu a confiée à l’homme, et  elle doit tendre à renforcer l’alliance entre l’être humain et l’environnement  appelé à être le reflet de l’amour créateur de Dieu.

70.       Le développement technologique peut amener à penser que la  technique se suffit à elle-même, quand l’homme, en s’interrogeant uniquement sur  le comment, omet de considérer tous les pourquoi qui le poussent à  agir. C’est pour cela que la technique prend des traits ambigus. Née de la  créativité humaine comme instrument de la liberté de la personne, elle peut être  comprise comme un élément de liberté absolue, liberté qui veut s’affranchir des  limites que les choses portent en elles-mêmes. Le processus de mondialisation  pourrait substituer aux idéologies la technologie [152],  devenue à son tour un pouvoir idéologique qui exposerait l’humanité au risque de se  trouver enfermée dans un a priori d’où elle ne pourrait sortir pour  rencontrer l’être et la vérité. Dans un tel cas, tous nous connaîtrions,  apprécierions et déterminerions toutes les situations de notre vie à l’intérieur  d’un horizon culturel technocratique auquel nous appartiendrions  structurellement, sans jamais pouvoir trouver un sens qui ne soit pas notre  œuvre. Cette vision donne aujourd’hui à la mentalité techniciste tant de force  qu’elle fait coïncider le vrai avec le faisable. Mais lorsque les seuls critères  de vérité sont l’efficacité et l’utilité, le développement est automatiquement  nié. En effet, le vrai développement ne consiste pas d’abord dans le “faire”. La  clef du développement, c’est une intelligence capable de penser la technique et  de saisir le sens pleinement humain du “faire” de l’homme, sur l’horizon de sens  de la personne prise dans la globalité de son être. Même quand l’homme agit à  l’aide d’un satellite ou d’une impulsion électronique à distance, son action  reste toujours humaine, expression d’une liberté responsable. La technique  attire fortement l’homme, parce qu’elle le soustrait aux limites physiques et  qu’elle élargit son horizon. Mais la liberté humaine n’est vraiment elle-même  que lorsqu’elle répond à la fascination de la technique par des décisions qui  sont le fruit de la responsabilité morale. Il en résulte qu’il est urgent de  se former à la responsabilité éthique dans l’usage de la technique. Partant de  la fascination qu’exerce la technique sur l’être humain, on doit retrouver le  vrai sens de la liberté, qui ne réside pas dans l’ivresse d’une autonomie  totale, mais dans la réponse à l’appel de l’être, en commençant par l’être que  nous sommes nous-mêmes.

71.       Les phénomènes de la technicisation aussi bien du développement que  de la paix montrent clairement que la mentalité  technique a pu être détournée de sa source  humaniste originaire. Le développement des peuples est  souvent considéré comme un problème d’ingénierie financière, d’ouverture des  marchés, d’abattement de droits de douane, d’investissements productifs et de réformes  institutionnelles: en définitive comme un problème purement technique. Tous ces  domaines sont assurément importants, mais on doit se demander pourquoi les choix  de nature technique n’ont connu jusqu’ici que des résultats imparfaits. La  raison doit être recherchée plus en profondeur. Le développement ne sera jamais  complètement garanti par des forces, pour ainsi dire automatiques et  impersonnelles, que ce soit celles du marché ou celles de la politique  internationale. Le développement est impossible, s’il n’y a pas des hommes  droits, des acteurs économiques et des hommes politiques fortement interpellés  dans leur conscience par le souci du bien commun. La compétence  professionnelle et la cohérence morale sont nécessaires l’une et l’autre. Quand  l’absolutisation de la technique prévaut, il y a confusion entre les fins et les  moyens: pour l’homme d’affaires, le seul critère d’action sera le profit maximal  de la production ; pour l’homme politique, le renforcement du pouvoir; pour le  scientifique, le résultat de ses découvertes. Ainsi, il arrive souvent que, dans  les réseaux des échanges économiques, financiers ou politiques, demeurent des  incompréhensions, des malaises et des injustices; les flux des connaissances  techniques se multiplient, mais au bénéfice de leurs propriétaires, tandis que  la situation réelle des populations qui vivent sous ces flux dont elles ignorent  presque tout, demeure inchangée et sans possibilité réelle d’émancipation.

72.       La paix, elle aussi, risque parfois d’être considérée comme un  produit technique, fruit des seuls accords entre les gouvernements ou  d’initiatives destinées à procurer des aides économiques efficaces. Il est vrai  que bâtir la paix demande que l’on tisse sans cesse des contacts  diplomatiques, des échanges économiques et technologiques, des rencontres  culturelles, des accords sur des projets communs, ainsi que le déploiement  d’efforts réciproques pour endiguer les menaces de guerre et couper à la racine  la tentation récurrente du terrorisme. Toutefois, pour que ces efforts puissent  avoir des effets durables, il est nécessaire qu’ils s’appuient sur des valeurs  enracinées dans la vérité de la vie. Autrement dit, il faut écouter la voix des  populations concernées et examiner leur situation pour en interpréter les  attentes avec justesse. On doit, pour ainsi dire, s’inscrire dans la continuité  de l’effort anonyme de tant de personnes fortement engagées pour promouvoir les  rencontres entre les peuples et favoriser le développement à partir de l’amour  et de la compréhension réciproques. Parmi ces personnes, se trouvent aussi des  chrétiens, impliqués dans la grande tâche de donner au développement et à la  paix un sens pleinement humain.

73.       Au développement technologique est liée la diffusion croissante des moyens de communication sociale. Il est désormais presque impossible  d’imaginer que la famille humaine puisse exister sans eux. Pour le bien et pour  le mal, ils sont insérés à ce point dans la vie du monde, qu’il semble vraiment  absurde, comme certains le font, de prétendre qu’ils seraient neutres, et de  revendiquer leur autonomie à l’égard de la morale relative aux personnes. De  telles perspectives, qui soulignent à l’excès la nature strictement technique  des médias, favorisent en réalité leur subordination au calcul économique,  dans le but de dominer les marchés et, ce qui n’est pas le moins, au désir  d’imposer des paramètres culturels de fonctionnement à des fins idéologiques et  politiques. Etant donné leur  importance fondamentale dans la détermination des  changements dans la manière de percevoir et de connaître la réalité et la  personne humaine elle-même, il devient nécessaire de réfléchir attentivement à  leur influence, en particulier sur le plan éthico-culturel de la mondialisation  et du développement solidaire des peuples. Conformément à ce que requiert une  gestion correcte de la mondialisation et du développement, le sens et la  finalité des médias doivent être recherchés sur une base anthropologique.  Cela signifie qu’ils peuvent être une occasion d’humanisation non  seulement quand, grâce au développement technologique, ils offrent de plus  grandes possibilités de communication et d’information, mais surtout quand ils  sont structurés et orientés à la lumière d’une image de la personne et du bien  commun qui en respecte les valeurs universelles. Les moyens de communication  sociale ne favorisent pas la liberté de tous et n’universalisent pas le  développement et la démocratie pour tous simplement parce qu’ils multiplient  les possibilités d’interconnexion et de circulation des idées. Pour atteindre de  tels objectifs, il faut qu’ils aient pour objectif principal la promotion de la  dignité des personnes et des peuples, qu’ils soient expressément animés par la  charité et mis au service de la vérité, du bien et d’une fraternité naturelle et  surnaturelle. Dans l’humanité, en effet, la liberté est intrinsèquement liée à  ces valeurs supérieures. Les médias peuvent constituer une aide puissante  pour faire grandir la communion de la famille humaine et l’ethos des  sociétés, quand ils deviennent des instruments de promotion de la participation  de tous à la recherche commune de ce qui est juste.

74.       Un domaine primordial et crucial de l’affrontement culturel entre  la technique considérée comme un absolu et la responsabilité morale de l’homme  est aujourd’hui celui de la bioéthique, où se joue de manière radicale la  possibilité même d’un développement humain intégral. Il s’agit d’un domaine  particulièrement délicat et décisif, où émerge avec une force dramatique la  question fondamentale de savoir si l’homme s’est produit lui-même ou s’il dépend  de Dieu. Les découvertes scientifiques en ce domaine et les possibilités  d’intervention technique semblent tellement avancées qu’elles imposent de  choisir entre deux types de rationalité, celle de la raison ouverte à la  transcendance et celle d’une raison close dans l’immanence technologique. On se  trouve devant un “ou bien, ou bien” (aut aut) décisif. Pourtant, la  ‘rationalité’ de l’agir technique centré sur lui-même s’avère irrationnelle,  parce qu’elle comporte un refus décisif du sens et de la valeur. Ce n’est pas un  hasard si la fermeture à la transcendance se heurte à la difficulté de  comprendre comment du néant a pu jaillir l’être et comment du hasard est née  l’intelligence [153].  Face à ces problèmes dramatiques, la raison et la foi s’aident réciproquement.  Ce n’est qu’ensemble qu’elles sauveront l’homme. Attirée par l’agir technique  pur, la raison sans la foi est destinée à se perdre dans l’illusion de sa  toute-puissance. La foi, sans la raison, risque de devenir étrangère à la vie  concrète des personnes [154].

75.       Paul VI avait déjà reconnu et mis en évidence l’horizon mondial de  la question sociale [155].  En le suivant sur ce chemin, il faut affirmer aujourd’hui que la question  sociale est devenue radicalement une question anthropologique, au sens où  elle implique la manière même, non seulement de concevoir, mais aussi de  manipuler la vie, remise toujours plus entre les mains de l’homme par les  biotechnologies. La fécondation in vitro, la recherche sur les embryons,  la possibilité du clonage et de l’hybridation humaine apparaissent et sont  promues dans la culture contemporaine du désenchantement total qui croit avoir  dissipé tous les mystères, parce qu’on est désormais parvenu à la racine de la  vie. C’est ici que l’absolutisme de la technique trouve son expression la plus  grande. Dans ce genre de culture, la conscience n’est appelée à prendre acte que  d’une pure possibilité technique. On ne peut minimiser alors les scénarios  inquiétants pour l’avenir de l’homme ni la puissance des nouveaux instruments  dont dispose la « culture de mort ». À la plaie tragique et profonde de  l’avortement, pourrait s’ajouter à l’avenir, et c’est déjà subrepticement in  nuce (en germe), une planification eugénique systématique des naissances.  D’un autre côté, on voit une mens eutanasica (mentalité favorable à  l’euthanasie) se frayer un chemin, manifestation tout aussi abusive d’une  volonté de domination sur la vie, qui, dans certaines conditions, n’est plus  considérée comme digne d’être vécue. Derrière tout cela se cachent des positions  culturelles négatrices de la dignité humaine. Ces pratiques, à leur tour,  renforcent une conception matérialiste et mécaniste de la vie humaine. Qui  pourra mesurer les effets négatifs d’une pareille mentalité sur le  développement ? Comment pourra-t-on s’étonner de l’indifférence devant des  situations humaines de dégradation, si l’indifférence caractérise même notre  attitude à l’égard de la frontière entre ce qui est humain et ce qui ne l’est  pas? Ce qui est stupéfiant, c’est la capacité de sélectionner arbitrairement ce  qui, aujourd’hui, est proposé comme digne de respect. Prompts à se scandaliser  pour des questions marginales, beaucoup semblent tolérer des injustices inouïes.  Tandis que les pauvres du monde frappent aux portes de l’opulence, le monde  riche risque de ne plus entendre les coups frappés à sa porte, sa conscience  étant désormais incapable de reconnaître l’humain. Dieu révèle l’homme à  l’homme; la raison et la foi collaborent pour lui montrer le bien, à condition  qu’il veuille bien le voir; la loi naturelle, dans laquelle resplendit la Raison  créatrice, montre la grandeur de l’homme, mais aussi sa misère, quand il  méconnaît l’appel de la vérité morale.

76.       Un des aspects de l’esprit techniciste moderne se vérifie dans la  tendance à ne considérer les problèmes et les mouvements liés à la vie  intérieure que d’un point de vue psychologique, et cela jusqu’au réductionnisme  neurologique. L’homme est ainsi privé de son intériorité, et l’on assiste à une  perte progressive de la conscience de la consistance ontologique de l’âme  humaine, avec les profondeurs que les Saints ont su sonder. Le  problème du développement est strictement lié aussi à notre conception de l’âme  humaine, dès lors que notre moi est souvent réduit à la psyché et que la  santé de l’âme se confond avec le bien-être émotionnel. Ces réductions se  fondent sur une profonde incompréhension de la vie spirituelle et elles  conduisent à méconnaître que le développement de l’homme et des peuples dépend  en fait aussi de la résolution de problèmes de nature spirituelle. Le  développement doit comprendre une croissance spirituelle, et pas seulement  matérielle, parce que la personne humaine est une « unité d’âme et de  corps » [156],  née de l’amour créateur de Dieu et destinée à vivre éternellement. L’être humain  se développe quand il grandit dans l’esprit, quand son âme se connaît elle-même  et connaît les vérités que Dieu y a imprimées en germe, quand il dialogue avec  lui-même et avec son Créateur. Loin de Dieu, l’homme est inquiet et fragile.  L’aliénation sociale et psychologique, avec toutes les névroses qui  caractérisent les sociétés opulentes, s’explique aussi par des causes d’ordre  spirituel. Une société du bien-être, matériellement développée, mais oppressive  pour l’âme, n’est pas de soi orientée vers un développement authentique. Les  nouvelles formes d’esclavage de la drogue et le désespoir dans lequel tombent de  nombreuses personnes ont une explication non seulement sociologique et  psychologique, mais essentiellement spirituelle. Le vide auquel l’âme se sent  livrée, malgré de nombreuses thérapies pour le corps et pour la psyché, produit  une souffrance. Il n’y pas de développement plénier et de bien commun  universel sans bien spirituel et moral des personnes, considérées dans  l’intégrité de leur âme et de leur corps.

77.       L’absolutisme de la technique tend à provoquer une incapacité à  percevoir ce qui ne s’explique pas par la simple matière. Pourtant, les hommes  expérimentent tous les nombreux aspects de leur vie qui ne sont pas de l’ordre  de la matière, mais de l’esprit. Connaître n’est pas seulement un acte physique,  car le connu cache toujours quelque chose qui va au-delà du donné empirique.  Chacune de nos connaissances, même la plus simple, est toujours un petit  prodige, parce qu’elle ne s’explique jamais complètement par les instruments  matériels que nous utilisons. En toute vérité, il y a plus que tout ce à quoi  nous nous serions attendus; dans l’amour que nous recevons, il y a toujours  quelque chose qui nous surprend. Nous ne devrions jamais cesser de nous étonner  devant ces prodiges. En chaque connaissance et en chaque acte d’amour, l’âme de  l’homme fait l’expérience d’un « plus » qui s’apparente beaucoup à un don reçu,  à une hauteur à laquelle nous nous sentons élevés. Le développement de l’homme  et des peuples se place lui aussi à une hauteur semblable, si nous considérons  la dimension spirituelle que doit nécessairement comporter ce  développement pour qu’il puisse être authentique. Il demande des yeux et un cœur  nouveaux, capables de dépasser la vision matérialiste des événements humains et d’entrevoir dans le développement un “au-delà” que la technique ne peut  offrir. Sur ce chemin, il sera possible de poursuivre ce développement humain  intégral dont le critère d’orientation se trouve dans la force active de la  charité dans la vérité.

 

 

CONCLUSION

78. Sans Dieu, l’homme ne sait où aller et ne parvient même pas à comprendre qui  il est. Face aux énormes problèmes du développement des peuples qui nous  pousseraient presque au découragement et au défaitisme, la parole du Seigneur  Jésus Christ vient à notre aide en nous rendant conscients de ce fait que:  « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5); elle nous encourage:  « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).  Face à l’ampleur du travail à accomplir, la présence de Dieu aux côtés de ceux  qui s’unissent en son Nom et travaillent pour la justice nous soutient.  Paul VI nous a rappelé dans Populorum progressio que l’homme n’est pas à même de  gérer à lui seul son progrès, parce qu’il ne peut fonder par lui-même un  véritable humanisme. Nous ne serons capables de produire une réflexion nouvelle  et de déployer de nouvelles énergies au service d’un véritable humanisme  intégral que si nous nous reconnaissons, en tant que personnes et en tant que  communautés, appelés à faire partie de la famille de Dieu en tant que fils. La  plus grande force qui soit au service du développement, c’est donc un humanisme  chrétien [157],  qui ravive la charité et se laisse guider par la vérité, en accueillant l’une et  l’autre comme des dons permanents de Dieu. L’ouverture à Dieu entraîne  l’ouverture aux frères et à une vie comprise comme une mission solidaire et  joyeuse. Inversement, la fermeture idéologique à l’égard de Dieu et l’athéisme  de l’indifférence, qui oublient le Créateur et risquent d’oublier aussi les  valeurs humaines, se présentent aujourd’hui parmi les plus grands obstacles au  développement. L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain.  Seul un humanisme ouvert à l’Absolu peut nous guider dans la promotion et la  réalisation de formes de vie sociale et civile – dans le cadre des structures,  des institutions, de la culture et de l’ethos – en nous préservant du  risque de devenir prisonniers des modes du moment. C’est la conscience de  l’Amour indestructible de Dieu qui nous soutient dans l’engagement, rude et  exaltant, en faveur de la justice, du développement des peuples avec ses succès  et ses échecs, dans la poursuite incessante d’un juste ordonnancement des  réalités humaines. L’amour de Dieu nous appelle à sortir de ce qui est limité  et non définitif ; il nous donne le courage d’agir et de persévérer dans la  recherche du bien de tous, même s’il ne se réalise pas immédiatement, même  si ce que nous-mêmes, les autorités politiques, ainsi que les acteurs  économiques réussissons à faire est toujours inférieur à ce à quoi nous  aspirons [158].  Dieu nous donne la force de lutter et de souffrir par amour du bien commun,  parce qu’Il est notre Tout, notre plus grande espérance.

79. Le développement a besoin de chrétiens qui aient les mains tendues vers  Dieu dans un geste de prière, conscients du fait que l’amour riche de vérité,  caritas in veritate, d’où procède l’authentique développement, n’est pas produit  par nous, mais nous est donné. C’est pourquoi, même dans les moments les plus  difficiles et les situations les plus complexes, nous devons non seulement  réagir en conscience, mais aussi et surtout nous référer à son amour. Le  développement suppose une attention à la vie spirituelle, une sérieuse  considération des expériences de confiance en Dieu, de fraternité spirituelle  dans le Christ, de remise de soi à la Providence et à la Miséricorde divine,  d’amour et de pardon, de renoncement à soi-même, d’accueil du prochain, de  justice et de paix. Tout cela est indispensable pour transformer les «cœurs de  pierre » en « cœurs de chair » (Ez 36, 26), au point de rendre la vie sur  terre « divine » et, par conséquent, plus digne de l’homme. Tout cela vient à la  fois de l’homme, parce que l’homme est le sujet de son existence, et de Dieu,  parce que Dieu est au principe et à la fin de tout ce qui a de la valeur et qui  libère: « Le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir: tout est à vous  ! Mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3,  22-23). Le chrétien désire ardemment que toute la famille humaine puisse appeler  Dieu « Notre Père ! ». Avec le Fils unique, puissent tous les hommes apprendre à  prier le Père et à Lui demander, avec les mots que Jésus lui-même nous a  enseignés, de savoir Le sanctifier en vivant selon Sa volonté, et ensuite  d’avoir le pain quotidien nécessaire, d’être compréhensifs et généreux à l’égard  de leurs débiteurs, de ne pas être mis à l’épreuve à l’excès et d’être délivrés  du mal (cf. Mt 6, 9-13) !

Au terme de l’Année Paulinienne, il me plaît d’exprimer ce vœu avec  les paroles mêmes de l’Apôtre dans sa Lettre aux Romains: « Que votre amour soit  sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis  les uns les autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns  pour les autres » (12, 9-10). Que la Vierge Marie, proclamée par  Paul VI Mère de  l’Église et honorée par le peuple chrétien comme Miroir de la justice et Reine  de la paix, nous protège et nous obtienne, par son intercession céleste, la  force, l’espérance et la joie nécessaires pour continuer à nous dévouer  généreusement à la réalisation du « développement de tout l’homme et de tous les  hommes »  [159] !

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 29 juin 2009, fête des saints  Apôtres Pierre et Paul, en la cinquième année de mon pontificat.


BENEDICTUS PP. XVI

 

 

 

 

 

  

[1] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 22: AAS 59     (1967), 268; La Documentation catholique (par la suite: DC )     64 (1967) col. 682; cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l’Église dans     le monde de ce temps Gaudium et Spes,     n. 69, §1.    

[2] Paul VI,     Allocution de la messe pour la Journée du développement, Bogota, 23     août 1968: AAS 60 (1968) pp. 626-627; DC 65 (1968) col. 1547.    

 

[3] Cf.     Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de prière pour la Paix     2002: AAS 94 (2002), 132-140; DC 99 (2002)     pp. 4-8.    

[4] Cf.     Conc. œcum. Vat. II, Const. Past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 26.    

 

[5] Cf.     Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), nn. 68-70:     AAS 55 (1963), 268-270; DC 60 (1963) col. 525-526.    

[6] Cf. n.     16: loc. cit., 265; DC 64 (1967) col. 680.    

 

[7] Cf.     ibid., n. 82: loc. cit., 297; DC 64 (1967) col. 701.    

[8] Ibid., n.     42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.    

[9] Ibid.,     n. 20: loc. cit., 267; DC 64 (1967) col. 681.    

[10] Cf. Conc. œcum. Vat. II; Const. Past sur l’Église dans le monde de ce temps     Gaudium et Spes, n.36; Paul VI, Lett. apost.     Octogesima adveniens     (14 mai 1971), n. 4: AAS 63 (1971), 403-404; DC 68 (1971) pp.     502-503; Jean-Paul II, Lett. enc.         Centesimus annus (1er     mai 1991), n. 43: AAS 83 (1991), 847; DC 88 (1991) p. 540.    

 

[11] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 13: loc.     cit., 263-264; DC 64 (1967) col. 679.    

[12] Cf.     Conseil pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine     Sociale de l’Église, n. 76.    

 

[13] Cf.     Benoît XVI,      Discours d’inauguration de la Ve Conférence     générale de l’Épiscopat d’Amérique latine et des Caraibes, Aparecida 13     mai 2007; DC 104 (2007) pp. 532-541.    

[14] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio     (26 mars 1967), nn. 3.4.5:      loc. cit., 258-260; DC 64 (1967) col. 675-676.    

 

[15] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.         Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987),     nn. 6.7: AAS 80 (1988), 517-519; DC 85 (1988) p. 235.    

[16] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 14:     loc. cit., 264; DC 64 (1967) col. 679.    

 

[17] Benoît     XVI, Lett. enc.     Deus caritas est (25 décembre 2005), n 18: AAS     98 (2006), 232; DC 103 (2006) p. 175.    

[18] Ibid.,     n. 6: loc. cit., 222; DC, ibid. p. 169.    

 

[19] Cf.     Benoît XVI, Discours à la Curie Romaine pour la présentation des vœux de     Noël; L’Osservatore Romano en langue française (par la suite:     Oss. Rom. fr.) n. 52 (2005) pp. 3-5.

[20] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.         Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987),     n. 3: loc. cit., 515; DC 85 (1988) p. 234.    

[21] Cf.     ibid. n. 1: loc. cit. , 513-514; DC 85 (1988) p. 234.    

 

[22] Cf.     ibid. n. 3: loc. cit., 515; DC 85 (1988) p. 234.    

[23] Jean-Paul     II, Lett. enc.     Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 3: AAS     73 (1981), 583-584; DC 78 (1981) p. 837.    

 

[24] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.         Centesimus annus (1er mai 1991),     n. 3: loc. cit., 794-796; DC 88 (1991) pp. 518-519.    

[25] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 3:      loc. cit., 258; DC 64 (1967) col. 675.    

 

[26] Cf.     ibid., n. 34: loc. cit., 274 ; DC 64 (1967) col. 686.    

[27] Cf.     nn. 8-9: AAS 60 (1968), 485-487; DC 65 (1968)     col. 1445-1446; Benoît XVI,      Audience au Congrès International organisé à     l’occasion du 40e anniversaire d’Humanæ vitæ, 10 mai 2008;      Oss. Rom. fr. n. 20 (2008) p. 5.    

 

[28] Cf.     Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 93: AAS 87     (1995), 507-508; DC 92 (1995) pp. 397-398.    

[29]     Ibid., n. 101: loc. cit., 516-518; DC 92 (1995)     p. 401-402.    

 

[30] n.     29: AAS 68 (1976), 25; DC 73 (1976) p. 6.    

[31] Ibid., n.     31: loc. cit., 26; DC 73 (1976) p. 6.    

 

[32] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.         Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987),     n. 41: loc. cit., 570-572; DC 85 (1988) p. 251.    

[33] Cf.     ibid.; Idem, Lett. enc. Centesimus annus (1er     mai     1991), nn. 5.54: loc. cit., 799.859-860; DC 88 (1991) pp. 520-521,     545-546.    

[34] N.     15: loc. cit., 265; DC 64 (1967) col. 679.    

 

[35] Cf.     ibid., n. 2; DC 64 (1967) col. 675; Léon XIII, Lett. enc. Rerum novarum (15 mai 1891), n. 1: Leonis XIII P.M. Acta, XI,     Romæ 1892, 97; Jean-Paul II, Lett. enc.         Sollicitudo rei socialis     (30 décembre 1987), n. 8: loc. cit., 519-520; DC 85 (1988) pp.     235-236; Idem., Lett. enc. Centesimus annus (1er     mai 1991), n. 5:      loc. cit., 799; DC 88 (1991) pp. 520-521.    

[36] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 2. 13;     DC 64 (1967) col. 675. 679.    

 

[37] Ibid.,     n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.    

[38] Ibid.,     n. 11; DC 64 (1967) col. 678 ; cf. Jean-Paul II, Lett. enc.     Centesimus annus (1er     mai 1991), n. 25: loc. cit., 822-824; DC 88 (1991) pp. 230-231.    

[39] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 15:      loc. cit.,     265; DC 64 (1967) col. 679.    

 

[40] Ibid.,     n. 3: loc. cit., 258; DC 64 (1967) col. 675.    

[41] Ibid.,     n. 6: loc. cit., 260; DC 64 (1967) col. 676.    

 

[42] Ibid.,     n. 14: loc. cit., 264; DC 64 (1967) col. 679.    

[43] Ibid.;     cf. Jean-Paul II, Lett. enc.     Centesimus annus    (1er     mai 1991), nn. 53-62: loc. cit., 859-867; DC     88 (1991) pp. 545-548; Idem, Lett. enc. Redemptor hominis (4 mars     1979), nn. 13-14: AAS 71 (1979), 282-286; DC 76 (1979) pp.     308-309.    

[44] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 12:      loc. cit., 262-263; DC 64 (1967) col. 678.    

 

[45] Conc.      œcum. Vat. II, Const. past sur l’Église dans le monde de ce temps     Gaudium et Spes, n. 22.    

[46] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 13:      loc. cit.,     263-264; DC 64 (1967) col. 679.    

 

[47] Cf.     Benoît XVI,      Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial     national italien, Vérone, 19 octobre 2006, Oss. Rom.    fr. n. 43 (2006) p. 3-4.    

[48] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 16:      loc. cit., 265 ; DC 64 (1967) col. 680.    

 

[49] Ibid.    

[50] Benoît     XVI,      Discours aux jeunes, Sydney 17 juillet 2008; DC 105     (2008) p. 778.    

 

[51] Paul VI,     Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 20: loc. cit.,     267; DC 64 (1967) col. 681.    

[52] Ibid., n.     66: loc. cit., 289-290; DC 64 (1967) col. 696.    

 

[53] Ibid., n.     21: loc. cit., 267-268; DC 64 (1967) col. 681.    

[54] Cf.     nn. 3.29.32: loc. cit., 258.272.273; DC 64 (1967) col. 675.     684-685.    

 

[55] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.         Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987),     n. 28: loc. cit., 548-550; DC 85 (1988) p. 244.    

[56] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 9:      loc. cit.,     261-262; DC 64 (1967) col. 677.    

 

[57] Cf.     Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987),     n. 20: loc. cit., 536-537; DC 85 (1988) pp. 240-241.    

[58] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991),     passim; DC 88 (1991) pp. 518-550, passim.    

 

[59] Cf.     nn. 23.33: loc. cit., 268-269.273-274; DC 64 (1967) col. 682.     685-686.    

[60] Cf.     loc. cit., 135.    

 

[61] Conc.      œcum. Vat. II, Const. past. Sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 63.    

[62] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Centesimus annus (1er mai 1991),     n. 24: loc. cit., 821-822; DC 88 (1991) p. 431.    

 

[63] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Veritatis splendor (6 août 1993), nn.     33.46.51: AAS 85 (1993), 1160.1169-1171; DC 90 (1993) pp. 913,     917, 918-920; Id.,      Message à l’Assemblée des Nations Unies, 5 octobre     1995, n. 3; DC 92 (1995) p. 918.    

[64] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 47:      loc. cit., 280-281; DC 64 (1967) col. 690-691; Jean-Paul II, Lett. enc.     Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 42:      loc. cit., 572-574;     DC 85 (1988) p. 252.    

 

[65] Cf.     Benoît XVI,      Message à la FAO pour la Journée mondiale de     l’alimentation 2007: AAS 99 (2007), 933-935; DC 105 (2008)     pp. 55-56.    

[66] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc. Evangelium vitæ     (25 mars 1995), nn.     18.59.63-64:      loc. cit.,419-421.467-468.472-475;     DC 92 (1995) pp. 359,     381, 383, 384.    

 

[67] Cf.     Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de la paix 2007, n. 5;     DC 104 (2007) p. 57.    

[68] Cf.     Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002, nn.     4-7,12-15: AAS 94 (2002), 134-136.138-140; DC 99 (2002) pp.     5-6, 7-8; Id., Message pour la Journée mondiale de la Paix 2004, n.     8: AAS 96 (2004), 119; DC 101 (2004) pp. 7; Id., Message     pour la Journée mondiale de la Paix 2005, n. 4: AAS 97 (2005),     177-178; DC 102 (2005) p. 5; Benoît XVI, Message pour la Journée     mondiale de la Paix 2006, nn. 9-10: AAS 98 (2006), 60-61; DC     103 (2006) pp. 4-5; Id.,     Message pour la Journée mondiale de la Paix 2007,     nn. 5.14: loc. cit., 778, 782-783; DC 104 (2007) pp. 57. 59-60.    

 

[69] Cf.     Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002, n. 6:     loc. cit, 135; DC 99 (2002) pp. 5-6; Benoît XVI, Message pour la Journée     mondiale de la Paix 2006, nn. 9-10: loc. cit., 60-61; DC     103 (2006) pp. 4-5.    

[70] Cf.     Benoît XVI,      Homélie pour la messe sur l’Islinger Feld de Ratisbonne,     12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp. 921-923.    

 

[71] Cf.     Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 1:      loc. cit., 217-218; DC 103 (2006) p. 166.    

[72] Jean-Paul     II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 28:     loc. cit.,     548-550; DC 85 (1988) p. 244.    

 

[73] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 19:      loc. cit.,     266-267; DC 64 (1967) col. 681.    

[74] Ibid., n.     39: loc. cit., 276-277; DC 64 (1967) col. 688.    

 

[75] Ibid., n.     75: loc. cit., 293-294; DC 64 (1967) col. 699.    

[76] Cf.     Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 28:      loc. cit., 238-240; DC 103 (2006) pp. 178-180.    

 

[77] Jean-Paul     II, Lett. enc.     Centesimus annus (1er mai 1991), n. 59: loc. cit.,     864; DC 88 (1991) p. 547.    

[78] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 40.85:      loc.     cit., 277.298-299; DC 64 (1967) col. 688. 702.    

 

[79] Ibid., n.     13: loc. cit., 263-264; DC 64 (1967) col. 679.    

[80] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Fides et ratio (14 septembre 1998), n. 85:     AAS 91 (1999), 72-73; DC 95 (1998) p. 932.    

 

[81] Cf.     Ibid., n. 83: loc. cit., 70-71; DC 95 (1998) p. 931.    

[82] Benoît     XVI,     Discours à l’Université de Ratisbonne, 12 septembre 2006;     DC     103 (2006) pp. 924-929.    

 

[83] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 33:      loc. cit., 273-274; DC 64 (1967) col. 685.    

[84] Cf.     Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2000, n.     15: AAS 92 (2000), 366; DC 97 (2000) pp. 4-5.    

 

[85]     Catéchisme     de l’Église catholique, n. 407. Cf. Jean-Paul II, Lett. enc.         Centesimus annus (1er mai 1991), n. 25: loc. cit., 822-824.     DC 88 (1991), pp. 530-531.    

[86] Cf.     n.17: AAS 99 (2007), 1000. DC 105 (2008) p. 22.    

 

[87] Cfr.     ibid., n. 23: loc. cit., 1004-1005. DC 105 (2008) pp. 24-25.    

[88] Saint     Augustin expose de façon détaillée cet    enseignement dans le dialogue sur le     libre arbitre (De libero arbitrio II     3, 8 ss.). Il indique l’existence dans l’âme humaine d’un « sens interne ».      Ce sens consiste en un acte qui se réalise en dehors des fonctions normales     de la raison, acte spontané et quasi instinctif, pour lequel la raison, se     rendant compte de sa condition éphémère et faillible, admet au-dessus de soi     l’existence de quelque chose d’éternel, d’absolument vrai et certain. Le nom     que saint Augustin donne à cette vérité intérieure est parfois celui de Dieu     (Confessions X, 24, 35; XII, 25, 35; De libero arbitrio II 3,     8, 27), plus souvent celui du Christ (De magistro 11, 38; Confessions VII, 18, 24; XI, 2, 4).    

 

[89] Benoît     XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 3:      loc. cit.,     219. DC 103 (2006) p. 167.    

[90] Cf.     n. 49: loc. cit., 281. DC 64 (1967) col. 691.    

 

[91] Jean-Paul     II, Lett. enc.     Centesimus annus (1er mai 1991), n. 28:      loc. cit., 827-828. DC 88 (1991) p. 532.    

[92] Cf.     n. 35: loc. cit., 836-838. DC 88 (1991) pp. 535-536.    

 

[93] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.         Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987),     n. 38: loc. cit., 565-566. DC 85 (1988) pp. 249-250.    

[94] N.     44: loc. cit., 279. DC 64 (1967), col. 690.    

 

[95] Cf.     ibid., n. 24: loc. cit., 269. DC 64 (1967) col. 682-683.    

[96] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Centesimus annus (1er mai 1991),     n. 36: loc. cit., 838-840. DC 88 (1991) pp. 248-249.    

 

[97] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 24:      loc. cit., 269. DC 64 (1967) col. 682-683.    

[98] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Centesimus annus (1er mai 1991), n. 32:      loc. cit., 832-833.     DC 88 (1991) pp. 246-247;     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 25:      loc. cit., 269-270. DC 64 (1967) col. 683.    

 

[99] Jean-Paul     II, Lett. enc.     Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 24: loc. cit., 637-638. DC 78 (1981) p. 852.    

[100] Ibid., n.     15: loc. cit., 616-618. DC 78 (1981) p. 846.    

 

[101] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 27:      loc. cit.,     271. DC 64 (1967) col. 684.    

[102] Cf.     Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Libertatis     conscientia (22 mars 1987), n. 74: AAS 79 (1987), 587. DC     83 (1986) p. 405.    

 

[103] Cf.     Jean-Paul II, Interview au quotidien catholique La Croix, du 20 août     1997.    

[104] Jean-Paul     II,     Discours à l’Académie des Sciences sociales, 27 avril 2001;     Oss. Rom. fr. 19 (2001), p. 9.    

 

[105] Paul VI,     Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 17:      loc. cit.,     265-266; DC 64 (1967) col. 680.    

[106] Cf.     Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2003, n. 5:     AAS 95 (2003), 343; DC 100 (2003) p. 6.    

 

[107] Cf.     ibid.    

[108] Cf.     Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n. 13:      loc. cit., 781-782; DC 104 (2007) p. 59.    

 

[109] Paul VI,     Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 65:      loc. cit.,     289; DC 64 (1967) col. 696.    

[110] Cf.     ibid. nn. 36.37: loc. cit., 275-276; DC 64 (1967) col. 687.    

 

[111] Cf.     ibid. n. 37: loc. cit., 275-276; DC 64 (1967) col. 687.    

[112] Cf.     Conc. œcum. Vat. II, Décr. Apostolicam actuositatem,     n. 11.    

 

[113] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 14:      loc. cit., 264; Jean-Paul II, Lett. enc.         Centesimus annus (1er mai 1991),     n. 32: loc. cit., 832-833; DC 88 (1991) p. 534.    

[114] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio     (26 mars 1967) n 77: loc. cit.,     295; DC 64 (1967) p. 700.    

[115] Jean-Paul II,      Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 6:      AAS 82     (1990), 150; DC 87 (1990) p. 10.    

 

     [116] Héraclite     d’Ephèse (Ephèse 535 av. J-C environ – 475 av. J-C environ), Fragment     22B124, en H. Diels et W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker,     Weidmann, Berlin 19526.    

[117] Cf.     Conseil Pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine     Sociale de l’Église, nn. 451-487.

[118] Cf.     Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n.     10: loc. cit., 152-153; DC 87 (1990) p. 11.    

[119] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio     (26 mars 1967), n. 65: loc. cit.,     289; DC 64 (1967) col. 696.    

 

[120] Benoît XVI,     Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2008, n. 7: AAS     100 (2008), 41; DC 105 (2008) p. 4.    

[121] Cf.     Benoît XVI,     Discours aux membres de l’Assemblée Générale de     l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008; DC 105     (2008) pp. 533-537.    

 

[122] Cf.     Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n.     13: loc. cit., 154-155; DC 87 (1990) pp. 11-12.    

[123] Jean-Paul II,     Lett. enc. Centesimus annus     (1er mai 1991), n. 36: loc. cit., 838-840; DC 88 (1991) pp. 536-537.    

 

[124] Ibid. n.     38: loc. cit., 840-841; DC 88 (1991) pp. 537-538; Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n.8:      loc. cit., 779;     DC 104 (2007) pp. 57-58.    

[125] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Centesimus annus     (1er mai 1991),     n. 41: loc. cit., 843-845; DC 88 (1991) pp. 538-539.    

 

[126] Cf.     ibid.    

[127] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 20:      loc. cit., 422-424;     DC 92 (1995) p. 360.    

 

[128] Lett.     enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 85:      loc. cit., 298-299;     DC 64 (1967) p. 702.    

[129] Cf.     Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1998, n. 3:     AAS 90 (1998), 150; DC 95 (1998) pp. 2-3; Id., Discours aux     membres de la Fondation Centesimus annus pro Pontefice, 9 mai 1998, n.     2; Oss. Rom. fr. n. 20 (1998) p. 2; Id., Discours aux Autorités et     au Corps diplomatique, Vienne, 20 juin 1998, n. 8; DC 95 (1998)     p. 689 ; Id., Message au Recteur de l’Université catholique du     Sacré-Cœur, 5 mai 2000, n. 6; Insegnamenti di Giovanni Paolo II     XXIII, 1 (2000), 759-760.

 

[130] Selon     saint Thomas « ratio partis contrariatur rationi personae » in III Sent.     D. 5, 3, 2; et aussi « Homo non ordinatur ad communitatem politicam secundum     se totum et secundum omnia sua » in Summa Theologiae I-II, q. 21, a.     4, ad 3um.    

[131] Cf.     Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur l’Église Lumen gentium, n.1.    

 

[132] Cf.     Jean-Paul II,     Discours à la VIe séance publique des Académies     Pontificales, 8 novembre 2001, n. 3; Oss. Rom. fr. n. 47 (2001)     p. 6.    

[133] Cf.     Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus     Iesus (6     août 2000), n. 22: AAS 92 (2000), 763-764; DC 97 (2000) p.     820; Id., Note doctrinale à propos de questions sur l’engagement et le     comportement des catholiques dans la vie politique (24 novembre 2002),     n. 8; DC 100 (2003) p. 136.    

 

[134] Benoît     XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007), n. 31:      loc. cit., 1010;     DC 105 (2008) p.28; Id.     Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial     national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss.     Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3-5.    

[135] Jean-Paul     II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 5:      loc. cit., 798-800;     DC 88 (1991) p. 521; Benoît XVI,     Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial     national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3-5.    

 

[136] N.     12.    

[137] Cf.     Pie XI, Lett. enc. Quadragesimo anno (15 mai 1931): AAS 23     (1931) 203; Jean-Paul II, Lett. enc.     Centesimus annus (1er     mai 1991), n. 48: loc. cit., 852-854; DC 88 (1991) p. 543; cf.     Catéchisme     de l’Église catholique, n.1883.

 

[138] Cf.     Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris (11 avril 1963), n. 74:      loc.     cit., 274; DC 60 (1963) col. 526-527.    

[139] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), nn. 10.41:      loc. cit., 262.277-278; DC 64 (1967) col. 677-678. 688-689.    

 

[140] Cf.     Benoît XVI,     Discours aux membres de la Commission théologique     internationale, 5 octobre 2007; DC 104 (2007)     pp. 1084-1086 ; Id.,     Discours au Congrès international sur la loi     naturelle, Université pontificale du Latran, 12 février 2007; DC     104 (2007)     pp. 354-356.    

[141] Cf.     Benoît XVI,     Discours aux évêques de Thaïlande en visite ad limina, 16     mai 2008; DC 105 (2008) p. 652. Oss. Rom. fr. n. 22 (2008) p.     10.    

 

[142] Cf.     Conseil pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en     déplacement, Instruction Erga migrantes caritas Christi, 3 mai 2004:     AAS 96 (2004), 762-822; DC 101 (2004) pp. 658-692.    

[143] Jean-Paul     II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 8:      loc. cit.,     594-598; DC 78 (1981) p. 840.    

 

[144] Jean-Paul     II, Jubilé des Travailleurs, Discours au terme de la concélébration     eucharistique; DC 97 (2000) p. 455.    

[145] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Centesimus annus     (1er mai 1991),     n. 36: loc. cit., 838-840; DC 88 (1991) p. 536.    

 

[146] Cf.     Benoît XVI,      Discours aux membres de l’Assemblée Générale de     l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008; DC 105     (2008) pp. 533-537.    

[147] Cf.     Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris     (11 avril 1963): loc. cit.,     293; DC 60 (1963) col. 526-527; Conseil pontifical pour la Justice et     la Paix, Compendium de la Doctrine     Sociale de l’Église, n. 441.    

 

[148] Cf.     Conc. œcum. Vat. II, Const. Past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 82.    

[149] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987),     n. 43: loc. cit., 574-575; DC 85 (1988) pp. 252-253.    

 

[150] Paul VI,     Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 41:      loc. cit.,     277-278; DC 64 (1967) col. 688; cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past.     sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 57, § 4.    

[151] Cf.     Jean-Paul II, Lett. enc.     Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 5:      loc. cit., 586-589; DC 78 (1981) p. 838.    

 

[152] Cf.     PaulVI, Lett. ap. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 29: loc. cit., 420; DC 68 (1971) p. 508.    

[153] Cf. Benoît     XVI,      Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial     national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43     (2006) pp. 3-5 ; Id.      Homélie pour la messe sur l’Islinger Feld de Ratisbonne,     12 septembre 2006, 12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp. 921-923.    

 

[154] Cf.     Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Dignitas personae     sur quelques questions de bioéthique (8 septembre 2008): AAS 100     (2008), 858-887; DC 106 (2009) pp. 23-38.    

[155] Cf.     Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 3:     loc. cit., 258. DC 64 (1967) col. 675.    

[156] Conc.      œcum. Vat. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps     Gaudium et Spes, n. 14.    

 

[157] Cf.     n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.    

[158] Cf.     Benoît XVI, Lett. enc. Spe salvi     (30 novembre 2007), n. 35: loc. cit., 1013-1014; DC 105 (2008) pp. 29-30.    

 

[159] Paul     VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 42:      loc. cit.,     278; DC 64 (1967) col. 689.


16/11/2013
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