Redemptor Hominis

Nouvelle évangélisation : "La Mission", homélie de l'abbé Pagès

Cinquième Dimanche du Temps Ordinaire, année C. (Liturgie de la Parole : Is 6 1…8 ; Ps 137 ; 1 Co 15 1-11 ; Lc 5 1-11)

Quel est le lien faisant l’unité des textes que nous avons entendus ? C’est l’envoi en mission, que ce soit celle d’Isaïe [1], de saint Pierre [2] ou de saint Paul [3]. Que nous dit Dieu à travers ces textes sur ce qu’est la mission ?

Tout d’abord, Isaïe et saint Pierre font une expérience de la présence de Dieu. Isaïe contemple la Gloire de Dieu dans le Temple de Jérusalem et voilà que tout de suite il s’écrie : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures [4]. » De même, saint Pierre, devant la manifestation de la Puissance de Jésus, reconnaît en Lui la Gloire de Dieu Lui-même, et, tout comme Isaïe, il est terrifié et s’écrie : « Seigneur, éloigne-Toi de moi, car je suis un homme pécheur. [5] » Et il en est ainsi dans tout l’Ancien Testament, comme dans l’Histoire universelle des religions : l’homme ne peut pas tenir en face de Dieu. Aussi la réaction de Pierre est-elle immédiate : il tombe à genoux [6] ! Par ce geste, Pierre confesse que Dieu est là et qu’Il est petit devant Lui. Petit, et moins que cela encore : dans un état d’infériorité que son péché rend incompatible avec la pureté divine. « Éloigne-Toi de moi [7] », dit Pierre. Ultime parole dite par les damnés : « Non, je ne veux pas de Dieu. » ; « Éloigne-Toi de moi » : recul instinctif devant l’évidence de la distance infinie, de l’abîme infranchissable que le péché met entre l’homme et Dieu…

Mais aussitôt, à celui qui confesse son péché, le Seigneur fait la grâce de Sa miséricorde :

 

« L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche et dit : “Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné [8].” »

 

De même, à saint Pierre terrifié et à Ses genoux, Jésus dit : « Sois sans crainte. [9] »

 

Et c’est ensuite, et ensuite seulement, que vient, pour Isaïe comme pour saint Pierre, l’envoi en mission : « J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : “Qui enverrai-Je ? qui sera Notre messager [10] ?” » Et Isaïe répondit : « Moi, je serai Ton messager : envoie-moi [11].” » Et à Pierre, Jésus dit : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras [12]. »

 

Ainsi donc, l’envoi en mission est un moteur à quatre temps :

 

  • Premier temps : l’expérience de la présence, de la puissance et de la sainteté de Dieu 
  • Deuxième temps : par contrecoup, par contraste, la reconnaissance de son péché 
  • Troisième temps : le don de la miséricorde, ou purification 
  • Quatrième temps : l’envoi en mission

 

Aucune mission ne peut être fructueuse si elle ne comprend ces quatre temps…

 

En effet, comment celui qui n’a pas rencontré Dieu pourrait-il désirer Le servir ? Comment celui qui ne reconnaît pas son propre péché pourrait-il aller demander aux autres de renoncer au leur ? Comment celui qui n’a pas accueilli la miséricorde divine pourrait-il l’annoncer ? Comment celui qui n’a pas été envoyé pourrait-il justifier sa mission ?

 

Tout commence donc dans une expérience personnelle de la présence et de la sainteté de Dieu. Sans cela, tout ce que nous prétendrions faire pour Dieu serait vain et mensonger : nous parlerions de ce que nous ne connaîtrions pas ! Jésus nous a bien avertis qu’au dernier jour beaucoup viendront, tous fiers d’eux-mêmes, et Lui diront : « Seigneur, n’est-ce pas en Ton Nom que nous avons prophétisé, que nous avons fait ceci et cela [13] ? » Et Jésus leur répondra : « Allez vous-en loin de Moi. Je ne vous ai jamais connu [14]. » C’est dire si la véritable connaissance de Dieu doit précéder nos actions… Or, comment Isaïe et saint Pierre ont-ils rencontré Dieu ? Isaïe était dans le temple lorsqu’il fit cette expérience. Et que faisait-il dans le temple de Dieu, sinon prier ? Voilà où nous pouvons faire l’expérience de la présence de Dieu : dans la prière. Dieu ne Se donne que dans la prière, le silence et la méditation de Sa Parole. Lorsque l’on vient à la Messe, il ne faut pas y venir pour autre chose que pour rencontrer Dieu. Si l’on y vient pour autre chose, je comprends que l’on trouve le temps long… Saint Pierre, après toute une nuit de travail infructueux, lui qui est un homme de métier, ne récuse cependant pas l’invitation de ce prêcheur à aller lancer les filets là où il sait, d’expérience, que ce n’est ni le temps ni le lieu pour y prendre du poisson. Mais l’acte de confiance de Pierre, ce premier acte de foi en la Parole de Jésus, va se voir récompensé du miracle d’une pèche miraculeuse et donnera à Pierre de rencontrer Dieu, en la personne de Jésus… Autrement dit, Dieu Se donne à celui qui ne Lui refuse pas sa foi. N’attends pas de voir pour croire, commence par croire et tu verras… Saint Pierre a cru avant de voir, aussi a-t-il vu ce qu’il ne pouvait croire.

 

« La mission est un problème de foi, elle est précisément la mesure de notre foi en Jésus Christ et en Son amour pour nous [15]. »

 

En Lui, et en Lui seulement, nous sommes libérés de toute aliénation et de tout égarement, de la soumission au pouvoir du péché et de la mort. L’Église, et en elle tout chrétien, ne peut pas cacher ni garder pour elle cette nouveauté et cette richesse. Et c’est là le plus grand service que nous puissions offrir à notre prochain, celui qui doit ordonner tous les autres : travailler à son salut éternel.

 

Toute la suite des siècles de l’histoire n’a pas d’autre sens que la croissance du Corps du Christ, de l’Église, jusqu’en sa plénitude finale dans l’éternité, et nos vies elles-mêmes n’ont pas d’autre sens que d’y contribuer pour notre part. La vie de Jésus-Christ qui est en nous veut par nous Se donner, Se communiquer aux hommes et à toutes les réalités humaines de notre temps, autour de nous. Nous avons ainsi à être des conquérants pour le règne de Jésus-Christ. C’est la mission à laquelle tout baptisé est appelé et pour laquelle nous recevons une force et une mission particulière par le sacrement de confirmation. Nous ne vivons pas de la vie de Jésus-Christ si nous ne sommes pas dévorés par le zèle de son extension et de sa croissance, par le souci perpétuel de la donner et de la communiquer. Hélas, aujourd’hui, au nom d’un relativisme partout présent et d’une fausse conception de la tolérance – qui ne doit s’appliquer qu’aux personnes et non aux idées – que de chrétiens n’ont-ils pas réduit le christianisme à n’être plus qu’une sagesse purement humaine, en quelque sorte « une science pour bien vivre ». Ne nous faut-il pas avoir le courage de reconnaître que « même au sein de l’Église, presque plus personne ne considère la foi comme un bien défendable, surtout si elle entre en conflit avec la liberté individuelle ou l’opinion publique [16] » ? « Dans l’Église catholique, c’est à peine si on entend encore affirmer que la vérité sur Dieu nous est révélée dans la foi [17] » … C’est dire si la crainte de saint Paul de voir les Chrétiens de Corinthe être devenus croyants « pour rien [18] » est actuelle… L’Évangile ne nous sauvera et ne sera une force de salut pour le monde que si nous le gardons tel que le Magistère authentique de l’Église nous le transmet ; sinon, c’est « pour rien » que nous nous disons croyants…

 

Notre mission vaudra dans la mesure où Jésus-Christ, qui seul sauve et sanctifie les âmes, agira par nous, c’est-à-dire dans la mesure même de notre sainteté. Les vrais apôtres sont les âmes totalement purifiées en qui tout est transformé en Jésus-Christ.

 

Puissions-nous dire comme saint Paul : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont Il m’a comblé n’a pas été stérile [19]. »

 

1. Cf. Is 6 1-8.

 

2. Cf. Lc 5 1-11.

 

3. Cf. 1 Co 15 1-11.

 

4. Is 6 5.

 

5. Lc 5 8.

 

6. Cf. ibid.

 

7. Ibid.

 

8. Is 6 6-7.

 

9. Lc 5 10.

 



16/11/2013
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