Redemptor Hominis

Les racines chrétiennes de la France et de l'Europe (Journal de l'Alliance)

NOS RACINES CHRÉTIENNES

 

Par

Alain Poret, écrivain

 

 

L’Europe non seulement occulte ses racines chrétiennes, mais dans certains milieux paneuropéens, on va jusqu’à les nier. Or, il est un fait historique incontournable, c’est bien le monachisme bénédictin qui, ayant eu pour fondateur saint Benoît de Nurcie[1], jeta les fondements de notre civilisation. Aussi évoquerai-je brièvement celles de la France ?

La France est définitivement gallo-romaine après la conquête de Jules César ; elle pouvait alors être définie comme une nouvelle Galilée, ainsi que la Provence qui devint une nouvelle Palestine. C’est, en effet, la communion miraculeuse, mystique qui s’établit entre la Terre Sainte, et ce qui deviendra la terre-refuge des Saintes-Maries-de-la-Mer. Peu de lettres différencient Provence de Providence, et à l’évidence, la terre de Provence fut terre de la Providence pour les témoins du second cercle qui connurent Jésus de son vivant. Marie-Madeleine y est devenue « l’Apôtre des Apôtres » selon Jean-Paul II ; la Sainte Baume n’est-elle pas le second Jardin de Gethsémani ?

Déjà le monachisme apparaît en Gaule, au VI è siècle, avec saint Martin de Tours qui fonda le monastère de Marmoutier. En France, s’il y a un clocher (qui a remplacé le dôme), c’est bien à saint Martin que nous le devons. Et sept cents villages se réclameront de lui : « Le saint dont le nom est le plus répandu dans la toponymie européenne de la Pologne au Portugal, c’est Martin » écrit le médiéviste Jacques Le Goff. Pourtant l’Europe semble-t-elle déjà amnésique par sa « toponymie » ?

Mais à la décharge du Conseil de l’Europe, en 1987, celui-ci a quand même déclaré les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle : « premier itinéraire culturel européen ». On n’est pas loin de « cultuel » ! A propos de saint Martin, la France est un pays dont une commune sur huit porte un nom de saint. Et la France chrétienne sonne le « tocsin » en « toquant » ses saints qui, rappelons-le, en France sont les suivants : saint Eloi (Limousin), saint Sébastien (Narbonne), sainte Geneviève (Nanterre), saint Rémi (Laon), sainte Jeanne d’Arc (Lorraine), saint François de Sales (Savoie), saint Vincent de Paul (Gascogne), sainte Catherine Labouré (Côte d’Or), sainte Bernadette (Lourdes) et sainte Thérèse (Lisieux).

En 410, le futur évêque d’Arles, Honora, fonda une communauté sur les îles de Lérins, au large de Cannes. Vers 416, à Marseille, Jean Cassien, d’origine orientale, créa deux monastères, l’un masculin, l’autre féminin. La Provence est en effet la région d’élection des moines avec les « trois sœurs cisterciennes » de Sénanque, du Thoronet et de Silvanes.

A la fin du XIe siècle, l’abbaye de Cluny, en Bourgogne, est à la tête d’un réseau de plus d’un millier de monastères dans toute l’Europe. En effet, Cluny, avec ses bénédictins, construisit une abbatiale romane, le plus vaste monument de l’Occident médiéval qui rayonna sur toute la chrétienté. Mais celui dont le développement va égaler Cluny est originaire de l’abbaye fondée à Cîteaux également en Bourgogne. Et l’austérité sera la marque de l’ordre cistercien. Entre les moines noirs de Cluny et les moines blancs de Cîteaux, quel jeu divin sur l’échiquier ducal de Bourgogne ! C’est d’ailleurs l’institution monastique chrétienne avec Benoît, Bruno et Bernard qui a imposé en France puis ailleurs la parole du Christ : « Mon Royaume n’est pas de ce monde ». Ajoutons, que le passage de l’art roman à l’arc brisé deviendra l’apanage des Cisterciens qui propageront à travers l’Europe cette architecture bourguignonne. Le XIIe siècle restera l’âge d’or cistercien. Rappelons que le Bénédictin le plus célèbre est François Rabelais, de même Bernard de Clairvaux pour les Cisterciens, ainsi que l’abbé Pierre pour les Capucins, réforme de l’ordre prêcheur des Franciscains. Enfin les moines du Moyen Age ont sauvé la culture classique et les œuvres des Pères de l’Eglise, grâce au travail persévérant des copistes travaillant dans le scriptorium des grands monastères : sans eux ces œuvres seraient perdues. On peut encore citer l’abbaye de Montmajour, implantée sur le même méridien que Cluny qui est l’exemple même du « travail de bénédictins » réalisé dans une zone de marais insalubre. Si le moine occupait le sommet de la hiérarchie proposée par la culture ecclésiastique (hommes de prière oratore, hommes de guerre bellatore et hommes du travail des champs laboratore) ; la règle de saint Benoît rappelle : « S’ils vivent du travail de leurs mains, c’est alors qu’ils seront vraiment des moines ». Le monachisme ayant duré quinze siècles : qui dit mieux, en matière de développement durable ?

Si l’on peut s’étonner qu’une théocratie ait pris la forme institutionnelle d’une monarchie centralisée, elle est la première à se doter d’îlots de « démocratie représentative » avec code électoral, majorité relative, mandat temporaire comme le remarque le philosophe Régis Debray qui écrit encore que « le fait est là. Le chapitre bénédictin n’est-il pas le grand-père de nos parlements ? ». Selon la formule de saint Léon : « Qui doit commander à tous doit être choisi par tous ». C’est l’occasion de rappeler que ce sont les évêques qui ont fait la France ; ceux sont eux qui ont sanctifié en leurs débuts les trois dynasties du « cycle des Lys » qui commence par Clovis baptisé à Reims, et sacré. Après Louis VI, sacré à Orléans, tous les rois de France, à l’exception d’Henri IV sacré à Chartres, ont reçu l’onction royale à Reims devenue ville du sacre. C’est en Champagne que la France est devenue chrétienne. C’est là aussi où est né l’ordre du Temple, dont les archives du Vatican nous révèlent aujourd’hui que s’il fut « dissous », il est « absous ». Il faut rappeler que sainte Radegonde qui fut avec sainte Clotilde, une des premières saintes de nos reines, a reçu le titre de « mère de la patrie française », titre décerné par l’Eglise. Et elle fut la première religieuse fondatrice d’un monastère royal de filles. Signalons encore qu’à Notre-Dame de Paris, Louis XIII avait placé la France sous la  protection de la Vierge, en 1638. Pie XI avait proclamé, en 1922, Notre-Dame de l’Assomption, patronne principale de la France. Aujourd’hui à Lyon, l’Immaculée Conception est la fête de la lumière célébrée chaque année, le 8 décembre.

En l’an mille, Raoul Glaber[2] évoquait ce « blanc manteau d’églises qui recouvrait la chrétienté ». Et l’académicien historien Max Gallo écrit sur la France : « Il n’est pas un mont de ce pays où ne s’élève un calvaire. Pas un champ qui ne soit traversé par un chemin qu’empruntèrent les pèlerins. Pas un village qui ne soit rassemblé autour d’un clocher ». Phare de la chrétienté, jamais la France n’a répandu autant de lumière spirituelle qu’au XIIe siècle, durant lequel les grands centres d’enseignement sont Laon, Paris, Chartres surtout. On y vient de tous les horizons de la chrétienté.  L’école de Chartres est définie par l’un de ses plus illustres docteurs, Bernard de Chartres. Sans Prosper Mérimée qui a sauvé l’héritage architectural, surtout roman et gothique de la France, son ami Viollet-le-Duc qui le seconda largement, et Emile Mâle, ce professeur de l’art médiéval en Sorbonne, il n’y aurait pas cet élan vers les cathédrales, ces « gratte-ciels de la foi » : « les simples, les ignorants, tous ceux qu’on appelait la « Sainte Plèbe de Dieu » apprenaient par les yeux presque tout ce qu’ils devaient connaître de leur foi ». C’est encore Émile Mâle qui écrivait au XIX è siècle : « Je souffrais en pensant que ces églises qui parlaient par leurs mille personnages de pierres ou de verre n’étaient plus écoutés par personne et je me promettais de mettre en honneur, si je le pouvais, cet art magnifique que je voyais dédaigné ». Enfin les échanges entre monastères, les circuits de compagnonnage et les pèlerinages donnaient une ouverture européenne à ces infatigables voyageurs de jadis, tous ces « hommes ivres de Dieu » selon la belle expression de Jacques Lacarrière.

Après l’art roman initiateur, la France est celle du style gothique (et non « barbare » comme Goths, Wisigoths et Ostrogoths !) attirant les foules de pèlerins. L’époque gothique est la rare période de notre histoire où la France crée une architecture nouvelle et l’enseigne à l’Occident chrétien. Le foyer du gothique est l’Ile de France. Et l’architecture gothique est née sur le territoire de la Champagne qui en est l’influence française la plus déterminante. D’où venait alors cette surenchère dans la construction des cathédrales gothiques avec Reims (7700 m2) pour la Champagne, Amiens (8000 m 2) pour la Picardie et Chartres (5800 m2) pour la Beauce ? Était-ce dans l’espoir de gagner le Ciel ? Avec le Gothique : « Dieu annexe l’horizon ». Dans la croisée d’ogives est la « Clef du Ciel ». Et les vitraux y sont les « orgues de lumière » avec Notre-Dame de Paris s’imposant par sa majesté et la Sainte Chapelle par sa grâce. Au début de son ouvrage « les bâtisseurs de cathédrales », Jean Gimpel écrivait : « En l’espace de trois siècles, de 1050 à 1350, la France a extrait plusieurs millions de tonnes de pierres pour édifier 80 cathédrales, 500 grandes églises et quelques dizaines de milliers d’églises paroissiales. La France a charrié plus de pierres en trois siècles que l’ancienne Égypte en n’importe quelle période de son histoire, bien que la grande pyramide à elle seule ait un volume de 2 500 000 mètres cube ». Il faut encore signaler que la France « Madone des fresques » représente cent mille mètres carrés de vitraux. Et dix mille orgues y résonnent.

Ainsi la culture occidentale n’est-elle pas imprégnée de références à ces mille ans de chrétienté : l’art occidental y est essentiellement chrétien.

En guise de conclusion, si l’Hexagone, première destination touristique au monde, a accueilli 80 millions d’étrangers, notre patrimoine religieux y est pour beaucoup. Par exemple, douze millions de visiteurs se rendent chaque année à Notre-Dame de Paris ; six millions à Lourdes ; deux millions à la chapelle de la Médaille miraculeuse, en lisière du Quartier latin ; un million et demi à Chartres, de même au Mont-Saint-Odile ; un million à l’abbaye du Mont-Saint-Michel ; neuf cent mille à la basilique Sainte-Thérèse de Lisieux ; huit cent mille à Sainte-Anne d’Auray en Bretagne ; six cent mille à la Madeleine de Vézelay ; deux cent cinquante mille à Notre-Dame de La Salette, en Isère ; cent trente mille à l’abbaye Notre-Dame du Thoronet, dans le Var ; quatre vingt mille au sanctuaire de Paray-le-Monial, en Saône-et-Loire, sans parler encore du Sacré-Cœur de Montmartre avec des milliers de touristes, chaque jour… Enfin comme l’écrit l’Exode (III, 5) : « N’approche pas d’ici : ôte tes sandales de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte ».



22/11/2010
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